Petite chronique d'automne
(5)
Mais cest quil
a fait beau, cet après-midi de dimanche, du
soleil quon nattendait pas ! Mais vers
les dix-huit heures, le ciel sest assombri.
Tonnerre au loin. Premier orage doctobre? On
prend goût aux beaux jours dété
en automne, il faut goûter aussi les orages
doctobre. Il ne faudrait pas croire ; il nest
pas bel orage que dété. Friedo
Lampe, écrivain allemand né à
Brême en 1892, a écrit en 1937 un roman
bref intitulé " Orage de septembre ",
à lire ou à relire avec beaucoup dattention
: cest un chef-duvre. Comme "
Au bord de la nuit ", son premier roman, saisi
par les nazis en 1933. Dans chacun de ces livres,
cest quelques heures dun micro-univers
que lon traverse, des personnages qui au départ
signorent, puis se croisent, se rencontrent,
repartent de leur côté, de petites histoires
parallèles souvent simultanées qui se
développent, sentrelacent, convergent.
En cet instant où lon évoque cela,
on entend toujours cet orage qui menace au loin. Et
puis survient un coup déclairage du soleil
sur le clocher de la maison aux oreilles et sur son
toit pointu. Cest une maison très ancienne
dans les hauts de la ville. Elle inspirait Lovecraft
et Stephen King lorsquils y séjournaient
dans une vie antérieure. Le toit de son clocher
forme comme quatre oreilles. Cest un clocher
sans cloche. La nuit où ce clocher tintera
sera nuit de très grandes merveilles. Pour
cet instant quil est, le ciel sembrase
seulement. La cloche pourrait tinter, mais elle ne
tinte pas. Il nest pas encore temps de merveilles.
Le chemin qui passe devant la maison est parsemé
de taches de pluie ; il a déjà plu un
peu, il se met à pleuvoir vraiment et il ny
a plus de coup déclairage du soleil sur
le toit de la maison aux oreilles et au toit pointu.
Ainsi commence ce soir du premier jour doctobre,
le premier mois entier dautomne, qui restera
à lheure dété toutefois
jusquà presque sa fin. Cest un
mois où tout va changer. Les feuilles aux arbres
deviendront jaunes, rouges, rousses, tomberont. Il
fera peut-être plus froid. Plus question de
rouler le soir, en trottinette, entre parcs et vergers,
plus question de terrasses où sarrêter
et de pots romantiques, de tête-à-tête
amoureux sous les seules étoiles pour duvet.
Lavenir est au coin du feu, au canapé
près de lâtre, aux théières
débordantes. On oubliera les tonnelles, le
balcon. On lira, à lintérieur,
des livres dhiver et de froid : " Un hiver
à Mannheim ", par exemple, un polar "
bien rythmé et plein de tendresse ", il
paraît, " à déguster avec
un thé de Chine ". Il est dans toutes
les librairies, bien exposé en évidence
sur de jolis présentoirs. La quatrième
de couverture annonce le retour de Selb, un "
vieux privé fatigué " dont "
le cur usé " va battre " pour
une jeune fille apparemment innocente et traquée
par un inconnu ". Cest de Bernhard Schlink,
un auteur allemand qui exerce la profession de juge.
Cest paru chez Gallimard (Série Noire
; 2582). Il faudra aussi lire de lui " Le liseur
" (Folio ; 3158) et sans doute encore "
Brouillard sur Mannheim " (Série Noire
; 2479). Puis, pour ne pas oublier les anges, on se
mettra à feuilleter l" Enquête
sur lexistence des anges gardiens " de
Pierre Jovanovic (Jai lu ; 3895). Il y sera
question de rencontres aux frontières de la
vie, de rencontres de lumière qui sauvent.
On y connaîtra des miracles. En attendant, le
soir a passé. Il est bientôt onze heures
et demie. Finalement, il ny a pas eu dorage,
le chemin sest vu parsemé de taches de
pluie, cest tout. Et maintenant, il ne pleut
pas.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
di 01/10/2000