Petite chronique des dangers
de l'amour (2)
Vous écoutez Françoise
Hardy à la radio ce soir. Elle vient de sortir
un disque, on lattendait depuis quatre ans.
Et cest une ancienne chanson que vous retrouvez
au détour dune plage, "Clair-Obscur
", un titre que Viktor Lazlo, drapée de
rouge, chantait en 1991. Elle est si belle cette chanson-là.
Cest Françoise
Hardy qui linterprète désormais,
elle lauteure des paroles, celle que vous aimiez
tant quand vous aviez quatorze ans, quinze ans, dont
vous buviez la voix, loreille collée
au haut-parleur, vous imaginant vous perdu dans le
rêve de ses longs cheveux. Vous inventiez ses
lèvres posées contre vos lèvres
et ce tandis quelle chantait pour vous, pour
vous seulement. Et vous étiez dans son visage,
et vous fermiez les yeux.
Ce soir, vous entendez :
" il a fermé à
double tour / pour pas souffrir, pour pas pleurer
/ car il croit que lamour peut tuer "
Vous pensez :
mais cest de vous quelle
parle, cest vous qui vous êtes enfermé,
pendant des années, des années, si loin
en dehors des autres, inaccessible, vous aviez peur
peur de souffrir si lon
ne vous aimait pas, si lon ne vous aimait plus
peur de pleurer
alors vous ne tentiez rien
pour quon vous aime, vous ne vouliez prendre
de risques, vous ne vouliez brûler damour
de peur de vous brûler
mais vous mouriez de froid.
Et vous mourez de froid.
Vous entendez :
" je nattends rien
/ je lui tends juste la main
"
Cest elle, elle qui vous
parle à travers cette voix de la chanteuse
que vous aimez depuis des années, des années,
cest celle que vous aimez, celle que vous ne
saviez pas que vous alliez laimer, celle pourtant
si proche, si près de vous que vous ne la voyiez
pas, que vous ne vouliez pas la voir, que vous fuyiez,
oui, mais soudain vous navez plus peur, vous
comprenez que vous laimez, que vous laimez
depuis toujours et que vous êtes peut-être
capable de laimer toujours, et vous navez
plus peur de brûler, dêtre brûlé,
de vous brûler à elle, vous ne craignez
plus les risques quil y aurait à laimer,
elle na jamais peur, elle, elle prend tous les
risques, elle, et vous, pour la séduire, vous
prendrez tous les risques aussi, non, vous navez
plus peur, vous laimez, vous êtes fort,
vous laimez, elle qui vous a prêté
tant dattention, ces derniers temps, tous ces
derniers temps, et même depuis si longtemps,
mais que vous fuyiez quelque part, malheureusement,
tout en laimant sans le savoir, tout en laimant
follement mais en refusant cette folie, vous accepterez
cette folie, vous lacceptez.
Vous entendez :
" il ouvrira sa porte
un jour / pour voir le ciel, pour respirer / et lamour
entrera sans frapper
"
Vous ouvrez votre porte. On
a frappé. Cest elle. Celle que vous aimez.
Celle qui vous aime. Vous ouvrez votre porte, la laissez
grand ouverte. Tout peut entrer : lamour, la
joie
Tant pis pour les dangers.
Lamour ne tue pas toujours.
Il sauve aussi.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Di 07/05 di 23/07/2000