Chronique des Fêtes
Ce matin de Noël, il pleut.
Il fait gris, de la brume et il pleut. Par la fenêtre,
entre les lames horizontales du store, on voit les
vergers et les prés, le chemin qui traverse
les jardins et longe les noisetiers, et un tapis de
feuilles mortes sur le chemin, entre les arbres, les
prés. Les noisetiers ont été
taillés, ratiboisés presque, pour quils
repoussent plus forts au printemps. Les arbres du
verger ont tous été taillés.
Des branches, un feu a été fait, qui
a duré la nuit entière. ça rougeoyait
derrière le rideau darbrisseaux. Loin
à la ronde, la fumée sest mêlée
à la brume. Des voisins sen sont plaint.
Un renard a passé, a longé la barrière,
sest arrêté sur le chemin. Et puis
plus tard il sest enfui en poussant un cri détestable.
Cest donc presque un
matin ordinaire, un vrai matin dun vrai lundi.
Ce Noël est sans neige, la fête a eu lieu
hier soir. Cest la nuit de Noël, la vraie
fête, le jour même de Noël est de
peu dintérêt. Lautre jour
on lisait sur un mur du quartier que " Labus
de Noël est dangereux pour le monde ! ".
Lanonyme inconnu auteur de ce graffiti est dune
lucidité remarquable.
Lavant-veille de Noël
avait été pleine de soleil, la veille
de Noël aussi. On sétait dit : arrive
heureusement cette pause de Noël avec toutes
ses lumières. Cest si important, la lumière.
On en manquait toutes ces dernières semaines.
Cest par manque de lumière quon
déprime, à cause des jours trop courts,
dun ciel trop sombre, trop bas. Mais, aujourdhui,
le ciel est à nouveau chargé de grisaille
et les lumières de la nuit de Noël se
sont très vite éteintes. Si les jours
grandissent à nouveau, on ne sen aperçoit
vraiment pas. Lhiver seulement commence. Il
peut encore faire très nuit et très
froid. Peut-être quil faudrait croire
aux anges, quils nous aident à franchir
les neiges qui nous séparent encore du printemps,
à y rencontrer quelques joies. Peut-être
quils le feront même si nous ny
croyons pas, peut-être quensuite nous
croirons. Sait-on ? Les étoiles dans la nuit
savent briller même derrière les nuages.
Le ciel séclaircit parfois. Il faut oser
croire aux miracles. Des miracles ont eu lieu, dautres
encore auront lieu, rien dillogique à
penser ça. On espérera, car ne pas espérer
est toujours inutile.
Certains, pour échapper
aux fêtes de la fin de lannée,
sen iront au bord de la mer. Dautres,
qui restent, iront au bord du lac promener leur cafard,
leur spleen ou leur mélancolie. Il faut ainsi
parler du ballet des mouettes en hiver sur le lac,
du lac argent quon voit et des palmiers au premier
plan qui frissonnent, et des nuages moutonneux, au
loin, puis des nuages éclatés, déchiquetés
déchirés, encore plus loin, des coups
déclairage du soleil sur tout ça,
des pins juste après les palmiers, du quai
où ne passe personne, sauf un passant pressé,
parfois, un couple âgé, un chien, une
petite fille qui sennuie
On longe ainsi,
certains après-midi désuvrés
de cette fin dannée, les quais du bord
du lac, les terrasses vides, les restaurants fermés,
les tennis déserts. Les tennis déserts,
surtout, fascinent. On pense aux tennis d "
India Song ", mais ici les tennis désertés
ne le sont pas à cause de la chaleur.
On aura ainsi bientôt
traversé lentier du " trou des fêtes
", le creux des " fêtes " de
la fin de lannée qui chaque fois répète
les mêmes simulacres. Lactualité
anodine du premier jour de janvier ressemble à
celle du jour de la Noël, à celle des
mêmes journées de ces années passées
: bénédictions du Pape urbi, orbi, foule
dans les rues, sur les places, foule déguisée,
cotillons sur les Champs-Élysées et
chapeaux pointus à Paris, à New York
et à Londres, feux dartifice, embrassades
et fraternités de minuit (sommet des simulacres),
ainsi que catastrophes et horreurs ordinaires, incendies,
feux de guirlandes et sapins qui sembrasent,
accidents, faits divers sanglants ; chaque année
cest la même tristesse. La télévision
réécrit les mêmes reportages ;
on reprendrait ceux des années passées,
il ny aurait rien du tout à changer.
Les bébés de la nuit ont leur photo
dans les journaux, cest très bien den
parler ; pourquoi pas les autres jours de lannée
? A Madrid, on avale douze grains de raisins aux douze
coups de minuit, on fait un vu, on embrasse
celle quon aime, cest là le seul
instant qui vaille la peine dêtre écrit.
Le reste appelle à la
révolte et à la rébellion. Alors,
quand à minuit on fait sauter le bouchon de
champagne, quon allume la bombe pleine de pacotille,
on imagine une fois que cest une vraie bombe
que lon fait sauter. Vient cette envie de tout
bousculer pour imposer plus de justice au monde. On
invente un grand soir et un matin qui chante. On boit
à la santé de lespoir et de la
Révolution.
On a revu la fin dun
millénaire, chose déjà vécue
lan passé, un phénomène
arithmétique donc sans tellement dimportance.
Lan passé, on a surtout fêté
lan 2000, ce qui, étant arithmétique,
était aussi dassez peu dimportance.
Cette année, on n'avait en fait pas grand chose
à fêter. Quand commencèrent le
millénaire et le siècle, on ne saura
sans doute jamais. On aime finalement bien lidée
dune zone intermédiaire entre deux siècles,
deux millénaires, une zone floue au lieu dune
coupure franche, lan 2000 étant cette
zone floue. ça rappelle la fusion pâteuse
de la cire par rapport à la fusion franche
de la glace. Cest très intéressant
quelque part. Quelque part, mais on ne sait pas quand
:-)
Lidée la plus
merveilleuse, quon entendit une fois, était
de faire commencer le siècle en 2000, le millénaire
en 2001, ou le contraire, on ne sait plus. ça
chamboulait le calendrier, la logique et les mathématiques,
cétait véritablement génial
et très grand.
Durant la période des
" fêtes ", il faut surtout lire des
livres et, de préférence, des romans
damour. Les magazines illustrés sont
tous sans intérêt ; ce ne sont que des
rétrospectives ; ils se bornent à récapituler
horreurs et catastrophes de lannée. Les
prévisions des astrologues sont elles aussi
sans intérêt. Sauf une seule : "
Vous aimerez et vous serez aimés. "
Espérons.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
lu 25/12/2000 lu 01/01/2001