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Marion Graf

Notice biographique - Bibliographie - Entretien avec Marion Graf (Isabelle Martin)

Autres pages sur l'auteur :

Rubrique Livres du Mois
L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe
Hommage à Doris Jakubec
Microgrammes de Robert Walser
La Poésie en Suisse romande


  Notice biographique

Marion Graf est née à Neuchâtel en 1954, de père suisse et de mère française. Licensiée ès lettres des Universités de Bâle (1977) et Lausanne (1983). Vit à Schaffhouse depuis 1983. Traductrice et critique littéraire (au Journal de Genève, puis au Temps) depuis 1983.

Extrait de Feuxcroisés - N°3

 

  Bibliographie

Principales traductions du russe

Aleksandre Grine, L'Ecuyère des vagues, Ed. L'Age d'Homme, 1986.

 
Vladimir Odoïevski, Les Nuits russes, Ed. L'Age d'homme, 1991.
 
Réalisation d'un numéro spécial de la Revue de Belles-Lettres (1-3, 1996), consacré à Anna Akhmatova, en collaboration avec José-Flore Tappy. Pour ce numéro, traduction de 70 poèmes d'Akhmatova et de nombreux autres textes.

Principales traductions de l'allemand

Erika Burkart, Minute de silence, poèmes, Ed. de L'Aire, 1989 (collaboration).

 
Franz Hohler, La Reconquête et autres récits, Ed. Zoé, 1991
 
Conrad Ferdinand Meyer, La Femme juge, Ed. de l'Aire, 1994
 
Markus Werner, Le Dos tourné, Ed. Zoé, 1995
 
Klaus Merz, Frère Jacques, Ed. Zoé, 1998 (Prix Lipp Zurich, 1999)
 
Erica Pedretti, Pays perdu, Ed. Zoé, 1999
 
Robert Walser, Cigogne et Porc-épic : scènes dialoguées I et II, Ed. Zoé, (MiniZoé 42 et 43), 2000
 
Robert Walser, Nouvelles du jour : proses brèves, II, Ed. Zoé, 2000 - 2009
 
Markus Werner, L'Ami de Lesseps, Ed. Zoé, 2001
 
Klaus Merz, Déplacement / Kurze Durchsage, Ed. Empreintes, 2002
 
Robert Walser, Le territoire du crayon : proses des microgrammes, Ed. Zoé, 2003
 
Markus Werner, Zündel s'en va, Ed. Zoé, 2003
 
Aglaja Veteranyi, Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta, L'Esprit des Péninsules, 2004
 
Robert Walser, l'Ecriture miniature : microgrammes, textes de Peter Utz, Werner Morlang et Bernhard Echte, Ed. Zoé, 2004
 
Robert Walser, Seeland, Genève, Ed. Zoé, 2005
 
Robert Walser, Histoires d'images, Ed. Zoé, 2006
 
Robert Walser, Vie de poète, postf. de Peter Utz, Ed. Zoé, 2006
 
Peter Bichsel, Mes voyages chez Cordes : une histoire transibérienne, avec des images de Hannes Binder, Lobby suisse du livre, Edition Welttag des Buches, 2007
 
Gerhard Meier, Habitante des jardins, Editions Zoé, 2008
 
Erika Burkart, Langsamer Satz : Gedichte = Mouvement lent : poèmes ; préf. de Beatrice Eichmann-Leutenegger, Editions d'en bas : CTL, SPS, 2008
 
Robert Walser, Morceaux de prose, Editions Zoé, 2008
 
Robert Walser, Poèmes = Gedichte, postf. de Jochen Greven, Editions Zoé, 2008
 
Robert Walser : Au bureau : poèmes de 1909 = Gedichte ; trad. de l'allemand par Marion Graf, Editions Zoé, 2010
 
Robert Walser, Petite prose ; trad. de l'allemand par Marion Graf ; postf. de Peter Utz, Editions Zoé, 2010


Publications

L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, sous la dir. de Marion Graf, photos Yvonne Böhler, Editions Zoé, 1998

 
Les Textes comme Aventure : Hommage à Doris Jakubec, textes réunis par Marion Graf, José-Flore Tappy et Alain Rochat,
Editions Zoé, 2003
 
Europe n° 889, Paris, mai 2003 (conception et réalisation d'un n° spécial "Robert Walser")
 
La Poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars (en collaboration avec José-Flore Tappy), Paris, Seghers 2005

 

  Entretien avec Marion Graf (Isabelle Martin)


"Pour moi, une traduction n'est jamais finie"

Entretien avec Marion Graf

Une grande pièce lumineuse et dépouillée à l'étage de la maison familiale, ancienne dépendance d'une propriété aujourd'hui morcelée, sur les hauteurs de Schaffhouse : c'est là que Marion Graf passe de longues heures à son bureau de traductrice, juste à côté de la vaste bibliothèque où Duden, Robert et Littré voisinent avec les auteurs qu'elle a traduits et ceux dont elle a rendu compte comme critique littéraire. Deux activités qu'elle juge tout à fait complémentaires et qui supposent des qualités d'ouverture, de perspicacité et d'abnégation, un mélange d'audace et de scrupule dont la présidente de la commission de publication de la Collection ch fait preuve avec constance et humour. Réalisé en novembre 2000, l'entretien qui suit en témoigne.

- D'où vous vient ce goût des langues, est-ce un héritage familial ?

- Non, pas du tout. Mais quand j'étais enfant, nous passions toutes les vacances en France dans le même village de l'Aude, près de Carcassonne, où mes grands-parents maternels avaient une propriété, et j'ai très tôt été sensible au besoin d'adapter sa langue, de parler comme les gens de Paris ou comme les habitants du village. J'ai toujours aimé les mots et toujours aussi désiré sortir de l'enfermement d'une langue. Franz Rosenzweig, je crois, dit qu'on est autant de fois un être humain qu'on connaît de langues.

A la Chaux-de-Fonds, où j'ai vécu de 11 à 18 ans, le ciné-club donnait à entendre des langues du monde entier. J'avais suivi au Gymnase des cours de grec et de latin, d'anglais, d'italien et même d'espéranto, mais c'est le russe et l'espagnol que je suis allée étudier à Bâle par goût de découvrir du nouveau et par passion pour les littératures étrangères. L'allemand n'était alors pour moi qu'une langue scolaire et j'ai heureusement pu passer en français mon mémoire de licence sur Dostoïevski; quant au suisse allemand, que je parle volontiers, je l'ai appris en travaillant au Kinderspital pendant mes études : pas de meilleure école, je vous l'assure !

- Pourquoi avez-vous choisi de passer une deuxième licence, et comment en êtes-vous venue à la traduction, à côté de l'enseignement puis de la critique ?

- J'ai enseigné le russe et l'espagnol au Gymnase de Neuchâtel, tout en préparant une licence en littérature française (avec un mémoire sur Philippe Jaccottet) à l'Université de Lausanne, cela pour disposer d'une autre branche : j'ai la chance de pouvoir enseigner occasionnellement la littérature française au Gymnase de Schaffhouse, c'est une activité annexe qui me plaît à cause du contact avec les élèves.

Traduire fait partie de la lecture du texte, comme une démarche critique plus intuitive et interprétative. Ce qui relie la critique et la traduction ? C'est toujours la transmission de quelque chose, une activité de médiation qui consiste à comprendre pourquoi un texte nous parle ou reste fermé. Le temps qu'il faut pour comprendre me paraît important: mon plaisir, c'est de parcourir les livres ans tous leurs sens. Démarche essentielle pour la poésie, où l'on se heurte aux mots et à la langue de manière différente. Quant à mes débuts dans la traduction, je suis allée très naïvement me présenter aux Editions L'Age d'Homme en disant : "Je suis une jeune traductrice, avez-vous du travail pour moi ?" On m'a donné vingt pages à titre d'essai, et c'est ainsi que tout a commencé : avec Alexandre Grine et son Ecuyère des vagues. D'emblée, j'ai aimé cet auteur, que l'on classe parfois parmi les écrivains pour la jeunesse mais qui en fait a plusieurs publics, comme Stevenson.

- Si je comprends bien, le métier ne s'apprend pas, on s'improvise traducteur ?

- Totalement ! C'est pourquoi il arrive souvent qu'on traduise un ou deux livres puis qu'on s'arrête, faute d'échanges et de stimulation. L'expérience de responsabilité partagée que j'ai faite de traduire, pour la Revue de Belles-Lettres, soixante-dix poèmes d'Anna Akhmatova en collaboration avec José-Flore Tappy m'a beaucoup appris sur le délicat équilibre entre scrupules et audaces.

- Travaillez-vous sur commande ou choisissez-vous les livres ou les auteurs que vous traduisez ? Il me semble déceler entre certains d'entre eux quelque parenté...

- C'est en général une commande, oui, qu'on est évidemment libre de refuser si l'on ne se sent aucune affinité avec l'auteur en question. Quant au choix, j'ai beaucoup poussé à la traduction de Klaus Merz, que je trouve très intéressant. Zoé est l'éditeur pour qui je travaille le plus actuellement, mais j'ai aussi traduit C.F. Meyer pour L'Aire et il n'est pas exclu que j'accepte d'autres propositions. Par exemple, je trouve très agréable de travailler sur des textes plus courts pour une revue quand un livre m'accapare longtemps : l'amour d'un auteur ne doit pas conduire à un investissement corps et âme ! Et je n'aurais pas souhaité être la traductrice attitrée d'un seul écrivain, même de Walser, parce que j'aime trop passer d'une voix à l'autre. Cela dit, c'est une chance de traduire une deuxième livre du même auteur, parce qu'on retrouve un style qu'on a déjà épluché et qu'on ne peut donc que s'améliorer.

Pour ce qui est de la parenté reliant "mes" auteurs, je dirais que Markus Werner, Robert Walser et Klaus Merz font partie de la même caisse de résonance : ce sont des stylistes, très sensibles à chaque mot de leurs phrases. Erica Pedretti, elle, a quelque chose de plus abondant dans son style parce qu'elle cherche justement à recréer une sorte de polyphonie romanesque.

- Dans l'ouvrage collectif que vous avez dirigé, L'Ecrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, vous avez été amenée à donner mille et une définitions de ce métier qui n'en est pas un. Et si je vous demandais la vôtre ?

- Difficile de répondre en une phrase... Comme je vous l'ai dit, je ne sépare pas lecture, critique et traduction : ce sont trois façons de s'exposer à un texte, de se laisser (plus ou moins) envahir par lui, et d'y apporter une réponse. Le texte me transforme, et je le transforme. Dans le cas de la traduction, la rencontre est vraiment une double métamorphose, avec toute la fragilité un peu vertigineuse que peut donner cette prise de conscience : on croit avoir devant soi un texte clair, arrêté, et l'on est confronté soudain à toutes les variations qu'il peut inspirer.

- Pratiquement, comment procédez-vous dans votre travail ? Et qu'est-ce qui vous importe d'abord ?

- L'essentiel selon moi, c'est d'attraper un rythme : la musique de la langue, c'est important. Je commence d'abord par lire le livre de A à Z normalement, pour le plaisir, et aussi pour saisir à quel type de communication il répond, quel(s) pacte(s) avec le lecteur le sous-tend. J'établis d'abord une première version d'un assez long passage du texte, vingt à trente pages environ, sans trop réfléchir, en donnant souvent des variantes; puis je reviens sur mes pas avec un tirage papier pour examiner ce que j'ai fait, prendre conscience des difficultés à résoudre et me donner des outils pour continuer. Je travaille ainsi par séquences, toujours à ces deux vitesses, entre cinq et six heures par jour au maximum. Ensuite, je laisse reposer, avant de reprendre le tout deux à trois fois ; mais ces relectures n'ont pas toutes la même intensité et sont de différents types : tantôt je me réfère à l'original, tantôt je relis mon texte comme s'il s'agissait d'un livre français. Vous le voyez, ma méthode est tout à fait empirique !

Le cas de Walser est particulier puisqu'il s'agit de proses brèves, donc à chaque fois d'un nouveau départ : j'ai procédé en alternant textes à traduire et textes à relire. L'auteur qu'on traduit vous habite mais Walser, lui, vous vampirise ! C'est pourquoi il me semble vital de combiner la traduction avec une écriture autre, comme la critique.

- Les meilleurs auteurs ont leurs faiblesses : que fait-on dans ce cas ?

- S'il s'agit d'une erreur de fait, on essaie de l'arranger, voire de la corriger. On connaît les chaussettes sales de l'écrivain, c'est vrai, mais on est là pour le seconder et l'on met son orgueil à le valoriser, parce qu'on brille à travers lui. Cette complicité faite de subordination, de mimétisme et d'un certain aplomb tout de même, c'est peut-être le personnage du Commis de Walser qui l'incarne le mieux.

- Entrez-vous en relation avec l'auteur lorsque celui-ci est vivant ? Et si vous aviez pu rencontrer Walser, justement, quelles questions lui auriez-vous posées ?

- J'ai d'excellents contacts avec les auteurs, sans nécessairement rechercher un dialogue avec eux au sujet de mon travail, sauf si je bute sur un point qu'ils peuvent m'aider à éclaircir. Chez Erica Pedretti, je me souviens ainsi d'une ambiguïté touchant les pronoms Ils/elles. Ce genre d'ambiguïté peut être tout à fait voulue chez Walser, et il convient donc de la maintenir. Je ne crois pas qu'il devait être facile à fréquenter et je pense que j'aurais respecté sa solitude de créateur. Il en va de même pour Markus Werner, avec qui j'ai des relations amicales, mais qui a établi autour de son oeuvre et de son travail une zone de sécurité que je me garderais bien de franchir. J'espère donc ne pas rencontrer de problème insurmontable dans ma traduction en cours de son roman Henri l'Egyptien - un titre qui fait référence au roman de Gottried Keller, Henri le vert.

- Dans cette activité de traductrice, qu'est-ce que vous aimez le plus et qu'est-ce qui, en revanche, vous déplaît ?

- Ce que j'aime, c'est cette approche lente des textes, la possibilité de prendre le temps nécessaire pour tenter d'en comprendre toutes les subtilités (on doit aimer un auteur pour le traduire, si on traduit comme je le fais). Me plaît aussi cette perpétuelle confrontation avec sa propre langue, qu'on réapprend constamment, et les possibilités nouvelles que cela donne ne permanence d'élargir son vocabulaire et d'assouplir sa syntaxe. C'est pourquoi je n'aime pas me relire quand le livre sort, parce que toutes ces possibilités nouvelles se retrouvent figées alors que le texte continue à travailler en moi. Si bien que dès que je reçois le livre, je commence à le corriger : pour moi, une traduction n'est jamais finie.

- De quoi le traducteur a-t-il besoin, de quoi doit-il se méfier et que lui apprend l'expérience ?

- Ses besoins ? Un ordinateur, beaucoup de dictionnaires et le sens de l'autocritique ! Il doit se méfier des tics, ne pas traduire toujours de la même manière certains mots ou certaines formules syntaxiques. Il faut qu'à chaque fois il reparte à zéro, qu'il se refasse une identité et trouve le lexique qui convient à l'oeuvre nouvelle qu'il traduit. Quant à l'expérience, elle lui enseigne la prudence mais lui permet heureusement de travailler un peu plus vite qu'à ses débuts !

- Quels sont les critères de qualité d'une bonne traduction, et comment en juger ?

- Question difficile. L'exactitude sémantique est bien sûr un critère essentiel, mais aussi le fait de tenir comptes du ton établi par l'auteur, et de le restituer dans sa cohérence. Il n'est pas toujours aisé de transposer en français, langue très normée, les tournures locales auxquelles on recourt beaucoup plus librement que nous un auteur alémanique. Ou bien l'on admet que certains textes sont intraduisibles, comme le Wettermacher de Peter Weber, ou bien on tente l'expérience qu'a faite Colette Kowalski de transformer les paysans-ouvriers du textile dans le Toggenbourg en canuts lyonnais : un pari réussi, même s'il suscite quelque réserve. Autre réussite du même genre, le baroque viscéral de Maurice Chappaz traduit par Pierre Imhasly. Mais le plus grand de tous reste - je ne vais pas vous étonner - Philippe Jaccottet, qui a toutes les qualités de précision et de maîtrise de la langue. Son ingéniosité est incroyable, il faut du français ce qu'il veut pour donner à chaque oeuvre sa richesse.

La Collection ch a institué un système de contrôle des traductions qui sont publiées avec son soutien. Soumettre son travail au jugement d'autrui est une chose très utile, comme le montre l'expérience que j'ai faite des ateliers de Straelen, dans le Nord de l'Allemagne. Il s'agit d'un collège de traducteurs fondé par Elmar Tophoven. Chaque année, une douzaine de traducteurs franco-allemands sont invités pendant une semaine, tous frais payés. Chacun vient avec l'extrait d'une oeuvre en travail et tout le monde en discute. On est amené à l'expliquer et à défendre ce qu'on a voulu faire, et la diversité des pratiques de chacun fait qu'on apprend beaucoup sur la manière d'aborder un texte et d'oser certaines audaces. Ce jugement des autres me paraît très important pour le travail de traducteur.

- Vous êtes mêlée à la plupart des institutions qui défendent en Suisse les échanges littéraires, les Journées de Soleure, la revue Feuxcroisés et surtout la commission de publication de la Collection ch : parlez-nous de cette dernière.

- Ma participation à ces institutions découle peut-être de ma situation biographique et géographique : les Neuchâtelois ne se sentent pas au centre du monde ! Et ce qui me fascine, dans les divers engagements que vous mentionnez, c'est de faire l'expérience, à l'échelle de la Suisse, de processus qui, aujourd'hui, avec une complexité autrement plus grande, sont décisifs dans la construction de l'Union européenne.

La Collection ch essaie de combler l'immense méconnaissance qui existe entre les différentes parties de la Suisse. Sa commission se compose de sept spécialistes, deux par région plus un Romanche, et son secrétariat est à Soleure. Une fois par an, elle établit une liste d'ouvrages qui lui paraissent devoir être traduits mais elle prend aussi en compte, pour un tiers, les propositions des éditeurs. Ces listes sont envoyées à tous les éditeurs qui peuvent compter sur le soutien de la ch pour 30% des frais de production, les frais de traduction étant à la charge de Pro Helvetia. Depuis peu, nous pratiquons une nouvelle stratégie visant à faire découvrir d'un coup trois livres d'un même auteur, pour lui assurer un meilleur rayonnement : nous l'avons fait avec Catherine Colomb en allemand, et nous allons récidiver avec Hermann Burger en italien et Giovanni Bonalumi en français.

- Que pensez-vous de la décision zurichoise de privilégier dorénavant l'enseignement de l'anglais au détriment du fiançais ?

- Je n'ai rien contre l'anglais, bien sûr, ni contre la richesse culturelle à laquelle il donne accès, sans parler de son rôle dans les échanges économiques et scientifiques. Mais je suis consternée par la conception de la langue, sommairement réduite à un pur outil de communication, qui préside à la décision zurichoise. Une langue, c'est aussi une culture, et à cet égard, je perçois l'introduction de l'anglais dès l'école primaire comme une capitulation pure et simple devant l'uniformisation culturelle de type américain. Si je plaide pour que la priorité soit donnée aux langues nationales, c'est surtout pour deux raisons. D'abord, l'intégration à l'Europe : trois de nos langues nationales sont des langues européennes importantes, et les apprendre nous donne les moyens de comprendre nos voisins... de Vienne à l'Atlantique et de Palerme à Hamboug ! La seconde raison est d'ordre pratique et pédagogique : selon les conceptions modernes, l'enseignement des langues, pour être efficace, doit privilégier l'immersion, le bilinguisme, les échanges, etc. A cet égard, notre plurilinguisme offre des possibilités diverses et intéressantes, peut-être même plus rentables que le recours à grande échelle à des anglophones venus des quatre coins du le planète. Il s'agit d'avoir le courage d'innover. La radio et la télévision, par exemple, pourraient jouer un rôle bien plus actif. Ou bien imaginez qu'au lieu de service militaire, on envoie les instituteurs passer un ou deux ans dans une autre région pour enseigner dans leur langue la gymnastique, la géographie ou toute autre branche. Si leur instituteur se pointe de Romandie, il est certain les élèves alémaniques lui parleront en français bien plus volontiers qu'à leur maître habituel : les jeunes enfants ne demandent qu'à apprendre de cette façon.

- De Schaffhouse où vous vivez depuis 1983, comment voyez-vous la Suisse romande ?

- Schaffhouse est entourée par l'Allemange, mais nous ne sommes qu'à trois heures de Milan et la frontière français passe à Bâle, situation qui me plaît beaucoup. La Suisse romande, je la vois comme une province et un carrefour. Je crois d'ailleurs que ces mots résument assez bien la Suisse ! Entre ce qu'ils représentent, il y a une tension qui peut être prise comme une menace ou comme une chance. Chance avant tout, à condition de valoriser la parenté et la diversité qui nous constituent.

Isabelle Martin
Extrait de Feuxcroisés - N°3

 

Page créée le 02.03.05
Dernière mise à jour le 16.02.10

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