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Yla von Dach

Bibliographie - Entretien avec Yla Margrit von Dach (Patricia Zurcher)

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Rubrique Traduction
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  Bibliographie


Publications en allemand

Geschichten vom Fräulein - ein Wörter-Buch, Aarau, Sauerländer, 1982.
 
Niemands Tage-Buch - ein Trauman, Gümlingen, Zytglogge, 1990.
 
PhiloZoo : Cortège der Tiere = un cortège des animaux ; mit Bildern von Ursi Anna Aeschbacher, Verlag Die Brotsuppe, 2007.


Traductions

Michel Campiche, Das traurige Kind, Zurich, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1981.
 

Marie Féraud, Wie Engel ohne Flügel, Aarau, Sauerländer, 1982.

 
Alexandre Voisard, Das Jahr der dreizehn Monde, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1985.
 
Monique Laederach, Allein durchs Labyrint, Zurich, Schweizer Verlagshaus, 1985.
 
Catherine Safonoff, Die Umkehr, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1986.
 
Anne-Marie Im Hof-Piguet, Fluchtweg durch die Hintertür, Frauenfeld, Im Waldgut, 1987
 
Monique Laederach, Zu klein für den lieben Gott, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1988.
 
Marie-Claire Dewarrat, Im Winter des Kometen, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1989.
 
Jean-Michel Thibaux, Das Gold des Teufels, Benziger, 1989.
 
Marc Vuilleumier, Flüchtlinge und Immigranten in der Schweiz, Zurich, Pro Helvetia, 1989.
 
Christophe Gallaz, Mozart, Genève, La Joie de Lire, 1990.
 
Jean-Michel Thibaux, Die brennenden Seelen, Benziger, 1991.
 
François Debluë, Jubel Trubel, Benziger/Ex-Libris, Collection ch, 1992.
 
Jean-Michel Thibaux, Die sieben Geister der Revolte, Benziger, 1993
 
Gisèle Sallin/Marie-Hélène Gagnon, Les Enfants de la truie, Tragikomödie, 1993.
 
Sylviane Roche, Der Salon Pompadour, Benziger, Collection ch, 1997.
 
Jean-Michel Thibaux, Das eisige Gold : ein historischer Roman aus der Provence, Benziger, 1996
 
Catherine Colomb, Kopf oder Zahl, eFeF, Collection ch, 1997
 
Alice Ferney, Eine Kette schöner Frauen, Reinbek/Hamburg, Rowohlt, 1997.
 
Sylviane Chatelain, Das Manuskript, eFeF, Collection ch, 1998
 
Henri Troyat, Rasputin : eine Biographie, Artemis & Winkler,1998
 
Janine Massard, Drei Hochzeiten, eFeF, Collection ch, 1999
 
Isabelle Daccord, Der Grabe, Lausanne, Collection de la Société Suisse des Auteurs, 2000.
 
Isabelle Daccord, Die Ratten, die Rosen : Theater, Collection de la Société Suisse des Auteurs, 2001.
 
Jean-Claude Boré, Worte der Wüste / Fotogr.: Jean-Claude Boré ; Gedichte: Gil Pidoux ; Vorw. von Bertrand Piccard ; Einl. von Charles-Henri Favrod, Slatkine, 2003
 
Richardot, Jean-Pierre, Die andere Schweiz : eidgenössischer Widerstand 1940-1944, aus dem Franz. von Yla von Dach und Gabriela Zehnder, Aufbau-Verlag, 2005
 
Mario Mantese, Perles d'amour : le monde c'est toi-même, trad. de l'allemand par Yla M. von Dach, Editeur Vivez soleil, 2005
 
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace : Roman aus Mauritius, aus dem Franz. von Yla M. von Dach, Lenos-Verlag, 2006
 
Eric Alibert, Am Puls der Wildnis : der Schweizerische Nationalpark, aus dem Franz. von Yla M. von Dach, Les Editions du midi, 2008


Distinctions

1993 : Bourse de traduction de Pro Helvetia.
 
1998 : Prix d'encouragement de la Collection ch
 
2000 : Prix Lémanique de la traduction

 

  Entretien avec Yla Margrit von Dach

"Un art de l'écoute"

Depuis bientôt vingt ans à présent, Yla Margrit von Dach s'emploie, avec une énergie et une conviction toujours intactes, à faire entendre des voix romandes aussi particulières que celle d'Alexandre Voisard, Marie-Claire Dewarrat, François Debluë, Catherine Colomb ou Sylviane Chatelain aux lecteurs germanophones. Née en 1946 à Lyss, dans le canton de Berne, elle a exercé diverses professions qui pourtant semblent toutes converger vers un seul et même but, celui de rapprocher et d'enrichir ses semblables en leur servant d'intermédiaire. Tour à tour institutrice, publiciste, écrivain et traductrice, elle demeure fidèle à son instrument de travail, la langue écrite. Entre Paris et Bienne, ses deux ports d'attache, elle vit désormais de la traduction, sans exclure de renouer un jour avec sa propre écriture.

- Yla Margrit von Dach, vous avez vécu toute votre enfance dans le canton de Berne, vous êtes donc de langue maternelle allemande. D'où vous vient le français ?

- D'une affinité dont j'ignore les racines. Ma famille avait, du côté paternel, quelques liens avec le français. En fait, les von Dach sont des huguenots qui, à force de poursuivre leur route vers les contrées alémaniques, ont fini par alémaniser leur nom qui n'était autre que Dutoit ! Reste-t-il quelque chose de tout cela dans mes gênes ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que deux de mes oncles ont vécu en Suisse romande et que mon père a passé dix ans en Belgique avant d'être contraint par la guerre de rentrer au pays. Mais tout cet héritage français est demeuré très "virtuel" dans mon enfance. J'ai fait toutes mes écoles en allemand et avant de partir pour Paris, je suis allée à Londres et à Zurich...

- Vous avez travaillé dans l'enseignement, puis dans le journalisme, avant de passer à l'écriture et à la traduction : y voyez-vous une suite logique ou n'est-ce là que le reflet des hasards de votre vie ?

- Mes débuts dans l'enseignement s'expliquent par le milieu dont je suis issue. Dans une famille plus aisée, j'aurais probablement fait des études universitaires. Dans les milieux un peu plus modestes, les jeunes filles un tant soit peu douées à l'école étaient envoyées à l'Ecole normale. Le journalisme, lui, a été l'expression d'une envie d'élargir mon horizon et d'un désir d'écrire. Ce dernier n'osait pas encore s'exprimer librement, mais il pointait déjà le bout de son nez.

C'est pour cela aussi que j'ai suivi une formation de publiciste à l'Ecole de linguistique appliquée de Zurich, dans l'idée que par la suite, je m'orienterais plutôt vers la critique littéraire, voire l'édition.

- Comment êtes-vous venue à la traduction littéraire ?

- J'y suis venue par hasard et après avoir accompli mon premier pas vers l'écriture. En d'autres termes, j'avais renoncé pour un certain temps à toute activité rémunérée afin de pouvoir me confronter à mon désir d'écrire. C'est à ce moment-là que je suis partie pour Paris, où j'ai commencé par écrire Geschichten vom Fräulein - ein Wörter-Buch, paru chez Sauerländer en 1982.
Puis un ami journaliste à qui j'ai avoué que je n'avais aucune envie de retourner en Suisse dans l'immédiat, mais qui me fallait songer tout de même à gagner à nouveau un peu d'argent, m'a suggéré de prendre contact avec la Collection ch. J'ai donc fait un premier essai de traduction avec quelques pages de L'Enfant triste de Michel Campiche, puis j'ai traduit le livre entier.

A partir de là, c'est la traduction qui a pris les rênes. Les propositions se sont succédé et je n'ai eu qu'à suivre. Notez qu'à l'époque, les titres de la Collection ch traduits en allemand étaient tous édités par Benziger, à Zurich. Je suis donc devenue tout naturellement l'une des traductrices attitrées de cet éditeur. Je tiens à préciser aussi qu'en ces temps-là, il était un peu plus aisé qu'à présent de vivre de la traduction littéraire, pour autant que l'on accepte de vivre assez modestement.

Bien sûr, j'ai connu aussi des moments difficiles, des périodes où , ne voyant rien venir, j'ai dû recourir à ma bonne vieille formation d'institutrice. Mais pour moi, ces années-là furent avant tout des années d'exploration intérieure et extérieure, et tout en m'impliquant à fond dans chacune des traductions que j'entreprenais, je n'ai jamais travaillé dans le but de faire une carrière. En effet, bien que mon travail de traductrice soit aujourd'hui pleinement reconnu, je ne crois pas que ce soit dans ce domaine-là, que j'ai bâti une oeuvre. L'art que je tente d'exercer jour après jour, c'est avant tout l'art de vivre.

Durant ces années un peu décousures, mes intérêts m'ont parfois portée bien loin de la littérature. Mais cette quête de liberté et de vérité, même si elle n'a pas directement nourri une "carrière", a déposé quelque chose en moi, un potentiel auquel je peux faire appel aujourd'hui en toute circonstance, y compris lorsque je traduis.

- Vous vivez depuis de nombreuses années à Paris et pourtant vous ne traduisez que des auteurs suisses pour des éditeurs suisses. Avez-vous ressenti le besoin de mettre une distance physique entre votre lieu de travail et les gens pour qui vous travaillez ?

- Au début, j'ai certainement eu besoin de cette distance physique entre moi et les "gens pour qui je travaillais", c'est-à-dire les Suisses ! Je suis née en Suisse, certes, mais une part de moi-même n'aurait pas pu voir le jour si je n'étais pas partie.

C'est d'ailleurs une part très liée à la langue française et à ce qu'elle peut représenter : le tempérament latin, une certaine sensibilité esthétique, un sens du jeu aussi, cette légèreté, en somme, que le germanique reproche parfois au latin. Et une attitude moins inhibée lorsqu'il s'agit de mettre en mots des émotions.

Cela dit, des attitudes inhibées, on en trouve aussi ici. Et avec le temps, le charme de l'exotique s'est un peu estompé à mes yeux. Mais j'aime toujours cette ville; je m'y suis fait des amis et j'y ai rencontré celui qui est devenu mon compagnon... Entre-temps, ma relation à la Suisse a changé. Je ne m'y sens plus étouffer comme jadis et j'y ai gardé des liens amicaux et professionnels assez forts. Je sens l'importance de ces racines, il y a là pour moi comme un sentiment de Heimat. Mais je n'y suis pas constamment et je ne voudrais pas me replonger complètement dans l'atmosphère un peu confinée du quotidien helvétique !

- A quoi ressemble le marché littéraire suisse vu d'où vous êtes ?

- C'est une question difficile ! Vue de la France, la Suisse n'existe pas. Enfin, à moins qu'il ne s'y produise quelque scandale. Ou qu'un roman de Milena Moser ne soit traduit en français et ne paraisse chez un éditeur français, ce qui peut déboucher sur une page entière dans Le Monde. Vu ainsi, le marché littéraire suisse produit de temps à autre une petite cerise qu'un éditeur d'ici appliquera sur son gâteau, mais à part cela, c'est chacun pour soi.

A mon avis, les difficultés de la communication que l'on observe entre la Suisse romande et la France ou entre la Suisse alémanique et l'Allemagne ne sont pas uniquement le fait des "années Europe". La frontière suisse existe bel et bien et ce qui se trouve à l'intérieur de cette frontière est perçu comme différent à l'extérieur, même si la langue est la même. Hélas, cette différence ne semble pas susciter un grand intérêt. D'ailleurs, l'intérêt mutuelle se portent les quatre régions linguistiques de la Suisse n'est pas très réjouissant non plus. Qui sait, peut-être y a-t-il véritablement une difficulté particulière à se construire une identité collective qui dépasse les différences de langue ?

- En 1993, vous avez bénéficié d'une bourse de travail de Pro Helvetia, puis en 1998, ce fut le Prix d'encouragement de la Collection ch. Que pensez-vous de ce mode de soutien à une profession que l'on sait depuis longtemps sous-payée?

- Le fait de bénéficier d'une bourse ou d'une reconnaissance est évidemment bien agréable et je crois que les institutions culturelles qui soutiennent ainsi le travail des traducteurs méritent toute notre reconnaissance. Il n'en demeure pas moins que face au problème que constitue la rémunération insuffisante de notre profession, ce genre de subventions fait plutôt figure de pis-aller.

- Vous faites partie de la petite famille des auteurs-traducteurs ; l'écrivain a-t-il fini par céder entièrement la parole à la traductrice ou continuez-vous à écrire vos propres textes ?

- Après Niemands Tage-Buch, paru en 1990 chez Zytglogge, j'ai connu une longue période de silence. Etant donné le sujet de ce livre et les préoccupations dont il se fait l'écho, il n'y a peut-être rien d'étonnant à cela. J'ai commencé d'autres textes qui se sont arrêtés ou enlisés.

Mais je n'ai peut-être pas dit mon dernier mot ! J'attends que les choses mûrissent, et j'ai l'impression, en effet, que quelque chose est en train de mûrir. Dans ce contexte-là, j'avoue que je ne me soucie guère du marché. Je suis même convaincue que si quelque chose peut mûrir ici, cela ne peut se faire qu'à l'abri de tout marché, sous le soleil d'une irréductible liberté.

- Vous avez traduit pour la Collection ch des auteurs aussi divers qu'Alexandre Voisard, Marie-Claire Dewarrat, Sylviane Chatelain et François Debluë, pour ne citer qu'eux ; recherchez-vous volontairement la diversité ou est-ce le choix des éditeurs?

- Cette diversité est avant tout le fruit du hasard. Et ce hasard est évidemment lié au choix des éditeurs qui, parmi les propositions de la Collection ch, ont privilégié ces auteurs-ci. Bien sûr, il y a eu des titres ou des auteurs que j'aurais aimé traduire. Cela ne s'est pas fait. Soit parce que les éditeurs n'y étaient pas intéressés, soit parce que je n'étais pas disponible à ce moment-là.

- A part Jean-Michel Thibaux, dont vous avez traduit plusieurs ouvrages, vous n'avez pas eu l'occasion de suivre durablement un auteur. Cela fait-il partie de vos rêves professionnels ? Et si oui, à qui souhaiteriez-vous être fidèle ?

- Ah oui, ça fait partie de mes rêves de traductrice ! L'auteur alter ego avec qui l'on fait un long chemin... Mais le hasard, toujours lui, a voulu que parmi les auteurs que j'ai traduits, il n'y ait pas eu jusqu'ici un seul romancier dont l'oeuvre entière ait suscité l'intérêt d'une éditeur germanophone. En ce qui concerne Jean-Michel Thibaux, il a eu, c'est vrai, un certain succès en Allemagne, raison pour laquelle il y a eu une suite, mais jamais je n'ai considéré ces traductions comme mes traductions de rêve. Ce fut plutôt pour moi l'expérience intéressante d'une extrême altérité, d'une littérature aux antipodes de ce que je pouvais faire moi-même. Et disons-le, l'occasion aussi de travailler de façon un peu plus rentable, car un texte qui se déroule comme un film devant vos yeux n'exige pas la même concentration qu'un texte aussi subtil que Le Manuscrit de Sylviane Chatelain par exemple.

- Les auteurs que vous traduisez relisent-ils vos traductions lorsqu'ils en sont capables ? Quels contacts entretenez-vous avec eux ?

- Le contact avec "mes" auteurs a toujours été heureux. Et il me reste de toutes ces rencontre un sentiment d'amitié durable, même si nous n'avons pas eu l'occasion de travailler dans la continuité. Nous avons toujours pu discuter des problèmes qui se posaient. J'expliquais en français mes difficultés, mes propositions et mes éventuelles interprétations, et l'auteur me livrait sa vision des choses ou y apportait un éclairage supplémentaire. Ensuite, c'était à moi, naturellement, de trouver une solution et d'opérer le bon choix. Cela se fait toujours en fonction du rythme et de la tonalité interne du texte. Et il me semble que sur ce point, les auteurs m'ont toujours fait confiance.

- Vous avez participé à plusieurs ateliers de traduction dans le cadre des activités du Centre de Traduction littéraire de Lausanne et cela à titre d'enseignante ; à votre avis, la traduction littéraire peut-elle s'enseigner ?

- La traduction littéraire est un art qui fait appel à toutes sortes de facultés. Il est vrai que l'essentiel de ce qui s'y passe n'est pas simple à enseigner, car il ne suffit pas de maîtriser une langue, ni d'acquérir des techniques ou une terminologie spécifiques. On peut faire connaître la littérature, bien sûr, ainsi qu'un certain contexte culturel, mais on ne peut "enseigner" le cas particulier que représente un texte, avec la tonalité. le rythme et les univers cachés qui lui sont propres. Je pense toutefois que l'on peut apprendre à écouter, que l'on peut aiguiser ses sens. Car la traduction littéraire est un art de perception, d'écoute du texte, d'écoute de "l'autre" et de soi-même. Dans cette perspective-là, enseigner la traduction littéraire a toujours été synonyme pour moi de "faire l'expérience de soi face à un texte". Dans un atelier de traduction, chaque participant est aussi enseignant, car il reflète une expérience subjective du texte. Ce qui permet à chacun, bien mieux que le travail solitaire, de visualiser où s'arrête le texte et où commence la subjectivité du traducteur.

- Comment procédez-vous lorsque vous traduisez un ouvrage littéraire ?

- Je commence bien sûr par lire le texte dans son entier. Ensuite, je rédige un premier jet, un brouillon qui, généralement, est assez affreux ! C'est une mise en pièces, une site d'approches (je note parfois les différentes interprétations possibles) qui m'apparaît aussi comme une destruction de l'original. Dans la langue d'arrivée, ce texte n'est plus qu'un tas de débris qui n'a pas encore retrouvé sa cohérence. Mais c'est aussi le début d'un véritable processus d'imprégnation qui exige du temps. Les lois internes d'un texte, ses structures profondes, ne se révèlent pas à la première lecture. C'est pour cela aussi qu'à ce stade-là, je ne me sens pas autorisée à juger par exemple du bien-fondé d'une formulation. Ce n'est souvent qu'après avoir parcouru l'ensemble du texte et pénétré ainsi dans des strates un peu moins apparentes, que je découvre la fonction et la nécessité de ce qui me paraissait excentrique, voire incompréhensible à première vue.

Au départ, je suis toujours celle qui ne sait pas ; a priori, c'est le texte qui a raison. Il a sa raison d'être et je ne fais que l'explorer. Puis, petit à petit, je m'insinue entre ses lignes, je perçois des résonances, je m'imprègne de son rythme. Au deuxième passage de traduction, en général, nombre d'incertitudes ont été levées grâce à une compréhension plus globale du texte. Mais parfois, un troisième passage peut s'avérer nécessaire pour que la traduction "vole vraiment de ses propres ailes", pour que, tout en étant fidèle aux lois internes de l'original, le texte traduit obéisse aux siennes !

- Vous est-il arrivé de refuser de traduire un livre qui vous était proposé ? Et si oui, pour quelles raisons ?

- Oui, cela m'est arrivé. Par manque de temps en général. Mais j'ai aussi refusé deux traductions pour manque d'affinité avec l'univers du texte. Et une autre encore pour manque de compétence ! C'était un livre qui jouait énormément sur les différents registres du langage parlé. Etant donné la situation un peu particulière du dialecte suisses allemand, qui constitue en général notre fond de langage parlé, je ne me suis pas sentie capable d'utiliser, dans la langue allemande, tous les registres nécessaires pour restituer à ce texte toute sa saveur.

- Y a-t-il, à l'inverse, un auteur que vous rêveriez de traduire ou de sauver de l'oubli ?

- J'ai longtemps rêvé de traduire Jacques Mercanton, un rêve que j'ai poursuivi durant quelques années, mais que j'ai abandonné, faute d'éditeur... Je citerai également Monique Saint-Hélier dont Le Cavalier de paille m'a paru époustouflant d'audace formelle en comparaison de beaucoup de choses qui se font aujourd'hui. Il en existe déjà une traduction qu'il suffirait peut-être de revoir un peu... Mais pour vous avouer, je regrette parfois de ne pas traduire du portugais ! Il ne s'agit pas d'un auteur menacé par l'oubli, mais qu'est-ce que j'aurais aimé traduire Pessoa ! Je le lis d'ailleurs en français, car je ne trouve pas la même saveur à la traduction allemande... Je crois qu'il aurait vraiment comblé tous mes rêves de traductrice.

Patricia Zurcher
Extrait de Feuxcroisés - N°3

 


Page créée le 01.08.98
Dernière mise à jour le 18.01.11

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