Petite chronique des brumes
et du lac au printemps
Sur le lac, en avril, il faut
longer les vignes qui sortent de lhiver. Tout
est encore un peu gris. Ciel gris. Jour gris. Il faut
aller par ciel gris sur le lac, par ciel gris, le
lac est magnifique. De temps en temps, des taches
de couleur éclatent. Les grands moulins jaunes
de Rivaz, léglise blanche de Villette.
Et certaine façade dorange brique tuile
si visible de loin et qui crève les yeux mais
égaie le jour : cest un restaurant, un
hôtel. De passage en voyage on voyagerait
en cabriolet avec une femme dune merveilleuse
tendresse on sy arrêterait. Il
y a, plus loin, comme un dancing, une boîte
de nuit au pied des vignes. On danserait un dernier
slow avant un dernier verre, avant une première
nuit.
Mais lon poursuit dans
le paysage : Saint-Saphorin. Bientôt Vevey.
Plus loin : Clarens. LHôtel de lErmitage.
On songe à lHôtel du Lac du roman
dAnita Brookner que lon lisait voici quelques
automnes. Cest un roman très attachant,
plein de brumes et de charmes. Il sest passé
tout près dici, tout près doù
lon se trouve. Ou juste un peu plus loin. On
ne sait pas. On ne sait plus.
Limage en couverture
du livre est dune troublante beauté.
Elle représente cette femme à laquelle
quelquefois lon rêve, celle peut-être
qui voyage en cabriolet. Cest un tableau de
Falconi : " Passagio illuminato ". Cest
une jeune femme aux cheveux plutôt courts, qui
passe, longue robe, manteau, chapeau de pluie. Comme
une apparition. Cest une pièce dont lon
naperçoit quun carrelage en damier,
et seulement un miroir au mur. Cest un balcon,
portes-fenêtres ouvertes, un paysage avec une
grue que lon devine au loin. Du brun, du beige.
Un tableau magnifique.
Le printemps ressemble parfois
à lautomne quand les brouillards enveloppent
les rêves dans un cocon doux. Mélancolique
; mais doux. La mélancolie est douceur. Même
amère, même noire comme le voudrait son
nom. Mais la mélancolie est en réalité
grise. Seul le cafard est noir ; et lon ne ressent
le cafard que quand le ciel est intensément
bleu, et jamais sur le lac quand les nuages et les
vagues se parent de couleurs infinies.
Cest le Léman,
ce lac dont on commence le tour, et non pas le lac
de Genève ; le lac de Genève n'existe
pas ; le lac de Genève n'existe qu'à
Genève et ce n'est qu'un petit bout de lac
tout étroit ; partout ailleurs, c'est le Léman.
Ou pourrait-on parler du lac
d'Evian, de Thonon, de Lugrin ou de Meillerie ? Après
tout
jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Mardi 18 avril 2000.