Le chauffeur défie la
foule de son regard fort. La Grande Dame elle-même
se tourne vers lui, subjuguée par ce mélange
de douceur et de force. Maximilienne pense aux lions
dans les cages de la ménagerie quils
visitent parfois avec leurs enfants.
Layant aperçue,
il sourit. Soudain, la petite foule frileuse change.
L'hostilité face à ce couple qui se
forme sous ses yeux est perceptible. Tous les regards
se tournent vers cette femme ridicule, amoureuse,
désirante et aimante. La voilà piégée
par les fils imperceptibles que l'araignée
de l'incompréhension et de l'hostilité
a soigneusement tissés autour d'elle. La distance
minuscule qui la sépare de la portière
devient insurmontable. Prise au piège, comme
un oiseau englué dans une marée noire,
elle se tourne désespérée vers
la Mort pour lui tendre les bras et l'implorer de
l'arracher à cette puissante toile. Mais celle-ci,
ayant déjà oublié l'amoureuse
qui la délaisse pour un autre, séloigne
tranquillement en direction du pont et de ses turbulentes
voitures.
La désapprobation se
fait compacte et dense. Elle atteint Maximilienne
comme des immenses billes transparentes et glaciales.
Une immense compassion la retient pourtant auprès
de cette foule. Elle voudrait toucher ces boules d'incompréhension,
d'hostilité et de désapprobation, les
prendre dans ses bras et les bercer, les caresser
et les embrasser. Elles perdraient ainsi, petit à
petit, leur dureté et deviendraient molles
et douces, comme de tout petits bébés
chauds et parfumés.
Jérôme lappelle
dun regard teinté dimpatience.
Maximilienne toute entière est maintenant concentrée
à se détacher définitivement
du groupe. Les larmes de la foule se rassemblent dans
ses yeux. Toutes ses larmes de douleur que jamais
personne, même pas ce dieu de bonté dont
il est question aux baptêmes et aux mariages
nont recueilli et aimé, se déversent
sur la rue en un flot impressionnant.
La voiture aux rideaux fleuris,
son conducteur naïf et distrait qui passe à
toute trombe, détourne lattention de
la foule. Maximilienne réussit à se
dégager et se précipite haletante dans
la voiture. Jérôme accélère.
La circulation folle de cette fin daprès-midi
les avale pour les recracher à la sortie de
lautoroute. Les voici sur les chemins peu fréquentés
quil leur reste à parcourir jusquà
la maison.
© Viviane Mermoud