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Cendrars
Hommage à Cendrars
Disgrâce- J.M. Coetzee
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Peinture et Poésie
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HOMMAGE
Cendrars, aller simple
par Christine Le Quellec Cottier
Blaise Cendrars est entré dans
ma vie il y a plus de dix ans, au détour d'un étalage
de librairie ! La lecture de Moravagine fut un véritable
électrochoc qu'ensuite je n'eus de cesse de répéter
: lire Cendrars est un acte réactif, qui renverse son
lecteur, le déstabilise ou alors, comme par miracle,
l'apaise en le faisant changer d'univers. Les textes de l'écrivain
chaux-de-fonnier sont si divers que toutes les expériences,
aussi affectives qu'intellectuelles, sont possibles. Je ne
suis sûrement pas seule à vivre un grand moment
de quiétude, de bonheur lorsque, solitaire, je lis
à haute voix le poème Les Pâques à
New-York (1912). L'intimité d'un auteur et son lecteur
se mesure aussi à ces instants si rares :
[...]
Pourtant, Seigneur, j'ai fait un périlleux
voyage
Pour contempler dans un béryl l'intaille de votre image.
Faites, Seigneur, que mon visage appuyé
dans les mains
Y laisse tomber le masque d'angoisse qui m'étreint.
Faites, Seigneur, que mes deux mains
appuyées sur ma bouche
N'y lèchent pas l'écume d'un désespoir
farouche.
Je suis triste et malade. Peut-être
à cause de Vous,
Peut-être à cause d'un autre. Peut-être
à cause de Vous.
[...]
Que dire de Dan
Yack, de L'Homme foudroyé
ou encore du Lotissement
du ciel, textes très différents et pourtant
si nécessaires ! La magie toujours actuelle de cet
univers romanesque tient pour moi à son foisonnement,
à ses visions, ses énigmes, sa capacité
à accoucher d'êtres dignes de Dostoievski. Le
monde de Cendrars n'a pas de limites et sa langue protéiforme
jongle autant avec les lexiques qu'avec la mémoire,
métaphore qui permet d'annuler le temps et l'espace,
qui réunit ou brise les liens puisque sa fonction est
d'afficher la liberté du texte : le mouvement perpétuel,
la boucle ou la spirale sont des figures chères à
l'auteur. En fait, chaque lecture m'ouvre une autre porte
de ce monde imaginaire et me permet de tisser des liens, d'observer
les résonances qui traversent les pages et les volumes.
J'aime plonger dans cet univers en mouvement continu qui me
laisse une vaste autonomie, qu'elle soit liée au plaisir
d'un mot, de la lecture ou plus directement à un type
de recherche. L'interprétation cendrarsienne ne supporte
guère les grilles d'analyse et l'il critique
ne peut que s'armer d'humilité face à cette
construction si dense et cependant si fragmentée...
Cendrars et les femmes...
Mon goût pour l'uvre de
Cendrars tient sûrement à cette allure hétéroclite
qui laisse percevoir un monde en constante transformation.
Cette ouverture est peut-être aussi un piège
car l'écrivain s'est donné à lire sous
de multiples aspects et il est par exemple facile de lui reprocher
des propos misogynes calamiteux. Les personnages féminins
qui traversent les romans sont souvent maltraités,
détruits ou simplement négligés, et ce
n'est guère mieux parmi les textes reconnus comme des
Mémoires où
le propos sort de la plume d'un certain Cendrars, sans intermédiaire.
Je peux évidemment déduire que la relation de
Cendrars aux femmes devait être des plus compliquées
mais je ne crois pas que ce genre de constats ait la moindre
utilité. Les textes et leur géniteur ne forment
pas un tout et mon intérêt se concentre au niveau
des mots, pour mettre au jour la fabrique de ce tissu composite.
De fait, les réseaux de sens qui circulent entre les
textes et les souches culturelles qui ont nourri la poétique
du futur Cendrars me semblent toujours aussi passionnants
et inépuisables !
En abordant Cendrars, j'ai touché
à plusieurs mondes à la fois et ceux-ci m'ont
permis autant de voyages en train que dans les archives !
Que demander de plus à l'uvre d'un bourlingueur
? !
Ch. Le Q.-C.
Christine
Le Quellec Cottier, enseignante à Lausanne,
a consacré sa thèse de lettres à Blaise
Cendrars: les années dapprentissage, où
elle éclaire notamment la source germanique du poète
et ses relations avec lavant-garde allemande et russe
du début du siècle..
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