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L’EXORCISME DE JANINE MASSARD

Le printemps revient

Alia l'héroïne narratrice passera l'été, l'automne et l'hiver et en passera encore, mais ce livre est comme un arrêt sur image. Alia, ce nom est emblématique; il signifie "par un autre endroit" mais aussi "autre"; en effet, une destinée lui impose les obstacles, elle choisit de résister et se transmute en un autre elle-même. Le choc, l'annonce faite à Alia - l'inexplicable: son mari est atteint d'un cancer foudroyant, sa fille d'un cancer qui l'emportera au bout de 6 ans. Florence, la fille, d'une vitalité peu commune, traite sa maladie comme une grippe tout en laissant filtrer la conscience discrète et progressiste de sa fin. Alia raconte en entrelaçant les niveaux de conscience, la réflexion, les sentiments, les images, les tentatives de créer, recréer, réparer.

C'est l'histoire d'un renversement: ceux qui ne doivent pas mourir meurent et celle qui est mortellement blessée vit. Florence a retrouvé un paradis, à chaque rémission elle part pour les Etats-Unis, non terre promise mais refuge préservé où elle rencontre une mère de substitution, étrange pacte avec le destin, jeu où l'on peut crier "pouce" mais elle revient en Suisse se faire rattrapper par la maladie puis la mort. Elle voudra que ses cendres reposent dans Monument Valley, vaste île des morts. Alia est une rationaliste de gauche bon teint, mais ses sentiments percent le béton de la souffrance, des nuages de bonheur du couple défait reviennent, et un mystérieux sage inconnu lui ouvre les portes de la perception. A-t-elle raison de croire les médecins qui n'osent pas dire, a-t-elle raison de croire à ce qu'elle sent de magique, à l'homéopathie qui guérit son prurit? Phénomènes psychiques ou parapsychologiques? Qu'importe! Ce qui compte c'est cette fabuleuse capacité de résistance, d'acceptation dans le refus, d'amour plus simplement, de créativité aussi: Alia va porter les cendres de sa fille dans un sac à dos, jusqu'à Monument Valley.

Un roman d'une construction exemplaire, aux images fortes, qui charrie l'horreur, le désespoir et l'espoir, l'humour, l'ironie voire la dérision, la vie, le dialogue renouvelé, le roman de l'attente où le malheur inespéré arrive, mais aussi la rédemption. Réalisme et poésie s'entrelacent comme ils peuvent le faire dans la vie qui devient surréalité. La langue oscille entre tous les registres: délicatesse, litote, brutalité. Alia répare non l'injustice du monde, ni la perte irréparable mais sa vie qui cicatrise et refleurit par ce roman cathartique à la beauté convulsive et... la vie de ses lecteurs. Et on peut conclure avec l'auteur: "Malgré tout, elle avait écrit une histoire d'amour, même si la mort avait accaparé le rôle principal."

Pierre-Yves Lador

Janine Massard: Comme si je n'avais pas traversé l'été, Editions de L' Aire

 

Page créée le 28.12.02
Dernière mise à jour le 28.12.02

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