Petite chronique darrière-printemps
en Méditerranée (1)
Ce matin, le coq a chanté.
Une fois de plus, on boit le
thé de Chine, sur le balcon, mais sur un autre
balcon, un balcon dans le Sud, tout au sud du Pays.
Il est neuf heures et demie du matin et le coq vient
encore de chanter.
A maintes et maintes reprises,
on a entendu son cri noyé dans les rumeurs
de la ville et dans ce long roulement glissement grondement
qui coule ininterrompu de l'autoroute proche, et dans
les pépiements des oiseaux, les aboiements
des chiens, les jacassements des pies et tous les
bruits de la ville et de la campagne à la fois.
Mais pas encore étouffé
par le chant des cigales. Il est encore trop tôt.
Trop tôt dans le matin, trop tôt dans
la saison surtout.
On regarde du côté
des collines. Au loin : comme la forme dun volcan
éteint. On regarde les collines et les pins,
les buissons, les genets jaunes. En face du balcon,
sur une barre de rochers, un grand pin penché.
Plus loin : toute une étendue de maisons aux
toits rouges. Plus loin, plus loin : la mer.
On sent la chaleur qui monte.
On écoute les rumeurs
qui sélèvent de tout ce paysage.
Sirènes de police, mobylettes, une tondeuse
à gazon. Trois tourniquets que le vent fait
tourner et qui grincent et se taisent quand le vent
ne les agite plus.
On plonge dans la cour entre
les immeubles et les pins. Une femme passe. Personne
dautre.
Un merle des Indes siffle à
intervalles réguliers. Il demeure sur un autre
balcon. On ne peut pas le voir.
Une petite fille joue du piano.
On ne peut pas la voir non plus. On sait que cest
une petite fille parce que quelquun la
dit. On sait que cest la fille des gens qui
habitent tout en bas, ceux qui nont pas de balcon
mais un grand jardin.
Un ruisseau longe la piste
cyclable qui passe un peu plus loin. Le soir, il y
a quelques années, on entendait chanter les
grenouilles. On na pas entendu chanter les grenouilles
cette nuit. Il ne pleut pas. Il fait trop sec. On
nentend pas chanter les grenouilles quand le
temps est au sec. Et on ne les entendra plus, même
sil pleut. Il ny a plus de grenouilles.
On les a " déplacées ". Elles
dérangeaient le voisinage. Elles empêchaient
les gens de dormir. Elles nont pas empêché
de dormir ceux qui les ont " déplacées
", comme on dit.
Un papillon vient saluer les
fleurs du balcon. Il ny a pas beaucoup de fleurs.
Il y a, dans un grand bac, une toute petite plante
à petites fleurs rouges, seulement. Un champ
entier dillets tiendrait dans cet espace.
Cet espace nest encore que désert. Les
illets sont censés pousser. Mais quand
? Cest quand la saison des illets ? Sur
ce balcon, il y a comme une erreur.
Et lon écoute
le pigeon qui roucoule et agace la dame dà
côté. " Ce nest pas un pigeon
", dit-elle. " Cest une tourterelle,
une tourterelle, cest plus élégant
quun pigeon. Mais ça agace tout autant
"
Elle aurait dit aussi : "
Une fois, je sortirai mon fusil ! "
Tous les oiseaux ont ri.
On écoute les oiseaux
qui rient.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
ve 02/06/2000