Petite chronique darrière-printemps
en Méditerranée (6)
La
poésie, quand on regarde un paysage, cest
voir un autre paysage et lécrire. Et
faire voir à la lectrice, au lecteur, dautres
paysages encore, ceux quils imagineront. Cest
ouvrir des abîmes, des abysses, au fond des
mers comme au fond du ciel, au tréfonds dailleurs
comme au tréfonds de soi. Ouvrir des grottes,
des souterrains, des tunnels et des caves, des greniers,
des combles inexplorés dans des cathédrales,
des châteaux, où il est interdit dentrer.
A Paris, cest dans les
réservoirs de Montsouris, au fond des eaux
potables, que lon comprend peut-être linfini.
Et tout en bas dans les catacombes, pas loin de là.
Et puis ici, loin de Paris, dans linfini horizon
du ciel, dans celui infini de la mer, jusquau
large très loin, profond.
On sen va vers ce large,
on roule vers la mer sur les routes qui conduisent
à la mer, des routes lisses au bitume noir
qui coule rapide entre les rocailles et les pins.
On sabandonne à la vitesse, à
laccélération, on se laisse aller
à livresse. Cest laccélération
qui enivre, la vitesse ne se ressent pas. On na
pas peur, ou presque pas. On sait que lon roule
vers elle, la mer, et celle quon aime, ses yeux
de perle, ses lèvres de corail, vers un rêve
qui rend fou heureux. On se sent bien dans ce matin
à folle allure dans le soleil bleu, on roule
dans ce ciel immense jusquà la mer qui
roule vers soi. On senfonce dans ce ciel, dans
ces vagues.
Puis le jour passe, le soir
revient. Et lon sinstalle sur le balcon,
encore une nouvelle fois, un verre de quelque chose
à boire à portée de soi. On boit.
On regarde. On boit.
Et lon savance
de la moiteur du jour dans la douceur du crépuscule
et insensiblement dans la douceur de la nuit. Et lon
se fond dans cette douceur infinie. On reste là,
on ne bouge pas. Et lon aimerait rester là
à se laisser vivre : lire, écrire, se
promener, rien dautre (sauf boire, manger, dormir,
bien sûr)
Rester là des jours,
des jours
On resterait à ne rien
faire, on saurait toujours quoi faire, on ne sennuierait
pas : on écrirait. Écrire, on ne ferait
que ça ; et lire et marcher vers la mer, pour
nourrir lécriture et pour la transcender.
On ne quitterait plus cet endroit.
Et plus jamais ce paysage.
Pourtant lon sait comment
ce paysage peut être cruel ; dans léclatant
soleil, si dure lumière où nexiste
parfois ni abri ni refuge ; ou lhiver, les jours
de vent, de pluie. Il peut faire froid. Il peut geler.
Léternel été, cest
ailleurs.
Mais ailleurs, ça nexiste
pas.
Ainsi lon reste, sur
ce balcon, dans ce soir, cette nuit, et puis il est
midi du soir, minuit.
Et lon écrit.
Écrire, seul intérêt,
car tout est écriture, lécriture
est à la base de tout. Écrire, seul
intérêt, mais lécriture
permet de sintéresser à tout.
Jusquaux montagnes,
là-bas, si loin là-bas de la mer. Jusquaux
montagnes où lon reviendra.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Sa 03/06/2000