Petite chronique darrière-printemps
en Méditerranée (3)
Cest le soir. Quelquun
dit : " Ce sont de drôles de vacances,
on mange et on boit tout le temps. " Cest
vraiment quelque chose damusant.
Cétait encore
une fois lheure de lapéritif. Puis
lon mangeait sur le balcon. On buvait du vin
rosé clair.
Et la nuit est venue.
Onze heures et demie du soir
au printemps. Le 2 juin. Sur le balcon. Toujours.
Cest une nuit dété. Cest
normal, là si près de la mer. On ne
voit pas la mer, dici, mais on sait quelle
est là, juste derrière les collines
et les pins, tout près. Et lon se tient
sur le balcon. Seul. On écrit. Lécriture
est souvent une activité solitaire et nocturne.
On entend un train qui passe, qui roule et senfonce
dans la nuit, un train très long qui glisse
très longtemps dans la nuit, un train pour
Nice. Il vient de traverser Saint-Jean-du-Var. Ce
nest pas, ce nest plus maintenant, un
train qui sen va vers un rêve, la mer,
les palmiers, puisque ici même on se trouve
déjà dans ce rêve de la mer, des
palmiers, et des chaleurs douceurs jusque tard dans
la nuit.
Ainsi lon reste, sur
le balcon. On écrit à la lumière
vive dune lampe que lon a apportée.
Cest une lumière très forte comme
il en faut pour voir clairement ce que lon tente
décrire, illuminer lobscur des
mots.
Tout le monde dort dans lappartement.
Certains ont peur de la lumière la nuit et,
surtout, des moustiques quattire, la nuit, la
lumière. Mais on naura pas peur des moustiques,
on y sera indifférent, on fera comme sils
nexistaient pas. Il conviendra simplement de
regarder, avant de boire, dans le verre deau
gazeuse ou dans la tasse de thé si certains
ne sy sont pas noyés. Si lon en
trouve, on les sauvera. Peut-être.
On boit du thé. On aime
boire le thé, le soir, juste avant de dormir,
du thé très fort, une théière
entière. Si fort et si riche en tanins, le
thé devient un calmant euphorique.
On lit. On lit encore un texte
de Marguerite Duras. Un texte que lon découvre,
que lon na pas encore lu, un texte que
lon a déjà lu. On relit "
Le Navire Night ". On relit " Césarée
", lhistoire de Bérénice.
On relit " Les mains négatives ",
les mains qui hurlent des cris damour. Cest
dune beauté jusquau ravissement.
On tombe amoureux dune écriture.
On en fera sourire certains
avec ces propos-là. Et lon se réjouit
de les voir sourire. Il faut oser dire haut, très
haut, très fort, même jusqu'à
provoquer, que lon aime et ce que lon
aime. Comme le thé, les nuits sur le balcon
à onze heures et demie du soir en été,
et certaines suites de mots, merveilleuses suites
de mots.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
ve 02/06/2000