Chronique de février
en Méditerranée (3)
Et cest la nuit qui tombe
sur le port, le ciel couchant, une lumière
rouge, on sy fait prendre comme dans un piège
sur les terrasses des cafés de la rade, on
sy laisse prendre avec délectation, on
se dit que lon y resterait en espérant
que jamais ils ne cessent, cette lumière rouge
et cet instant, tant lenvie de demeurer là
est immense.
Ne pas partir. Cest impossible,
on sait. Quand la nuit sera là, on sait quil
faudra bien se lever et repousser la chaise et se
faire de la place pour passer entre les tables rondes,
et que cest impossible de la retenir, la nuit,
que ce sera un effort immense, se lever, quitter ce
lieu, ce paysage, même si un autre jour et un
autre paysage se lèveront demain.
Vous écrivez. Elle est
là, près de vous, votre héroïne.
Vous esquissez en contre-nuit sa silhouette dombre.
Vous ne la connaissez pas bien encore, vous venez
de la rencontrer. Vous lui dites que vous lécrivez.
Elle vous demande :
Cest un roman
? Ce sera notre histoire ?
Peut-être ; si
notre histoire dure assez.
Elle a posé sa main
sur la table. Vous posez votre main sur la sienne.
Vous restez silencieux. Vous ne dites plus rien. Vous
regardez les bateaux, la mer, imaginez au loin les
vagues.
Il dit :
Je nespérais
vraiment plus vous rencontrer ce soir.
Elle dit :
Moi non plus. Jespérais
simplement.
Il dit :
Nous attendre, nous
avons bien fait.
Elle vous regarde. Elle a tourné
son visage vers vous. Vous êtes assis côte
à côte. Ses lèvres sont près
des vôtres tout à coup. Comme ça
arrive, vous ne comprenez pas. Ses lèvres et
vos lèvres se touchent.
Elle dit :
Depuis quand nous connaissons-nous
?
Toujours.
Et nous nétions
pas amoureux. Que de temps nous avons perdu
Elle dit encore :
Vous savez à
quoi ils me font penser, cet instant et ce crépuscule
? A un roman de Marguerite Duras, " Moderato
cantabile ", la fin, le tout dernier chapitre.
Vous avez lu ? Vous connaissez ?
Oui. Mais nous ne vivons
pas le dernier chapitre dun roman.
Non. Un premier. Et
dune histoire peut-être heureuse.
Puis elle se lève, pénètre
la lumière rougeoyante du ciel, happée
par le couchant, disparaît.
Et vous la rejoignez.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
ve 23/02/2001