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Bernard Campiche Editeur

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Collection CamPoche

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  Anne Cuneo / La Vermine

Anne Cuneo / La Vermine

ISBN 978-2-88241-211-9

Paru chez CEDIPS, en 1970. Revu et corrigé par l'auteur. Postface inédite. Un roman inspiré par les initiatives xénophobes sur la limitation du nombre d'étrangers en Suisse, qui a fait grand bruit lors de sa parution.

La Vermine est un cri de colère. De colère et de douleur.
Ces sentiments ont fait surgir de l'inconscient une idée dont j'ai découvert depuis lors que c'est un des grands archétypes des immigrés du monde entier: «Ils nous maltraitent, ils nous insultent, ils nous humilient, ils prétendent qu'on les vole - il faudrait qu'on parte tous; ils s'apercevraient que sans nous, leur pays ne marche plus.»
On retrouve ce thème du départ massif dans la littérature, le plus souvent orale, des immigrés de tous les continents. En 1964, l'écrivain noir américain Warren Miller en avait fait, lui aussi, un roman. The Siege of Harlem (McGraw-Hill, New York, 1964) raconte comment tous les Noirs américains obtempèrent au vou raciste : ils quittent les États-Unis. Tous. Après eux, le chaos.
On retrouve fréquemment ce même thème chez les humoristes, et il fait souvent son apparition dans la correspondance des émigrés, qu'il s'agisse de lettres privées ou de courrier des lecteurs.


«Il faudrait qu'on parte tous.» - combien de fois n'a-t-on pas exprimé cette idée dans les réunions des communautés immigrées en Suisses entre 1968 (lancement de l'initiative dite «Schwarzenbach», du nom de son auteur, James Schwarzenbach) et juin 1970, où la Suisse l'a refusée ?
C'est de là qu'a surgi l'idée de La Vermine . De là et du sentiment d'horreur, d'injustice, que la situation provoquait chez moi.
Cependant, le vrai coup de pouce est venu d'une autre source. Au moment même où nous étions arrosés de propagande xénophobe, le Département de Justice et police a fait distribuer gratuitement dans tous les ménages une publication intitulée Zivilverteidigung ou Défense civile (Albert Bachmann et Georges Grosjean: Zivilverteidigung , Ed. Miles-Verlag, Aarau, pour le compte du Département fédéral de Justice et police, Berne, 1969. 320 pages).
Défense civile , version française Maurice Zermatten, qui nous parlait longuement du mal venu de l'étranger, de la guerre psychologique, et qui impliquait que tous les étrangers et tous les intellectuels (avec accent sur les journalistes) étaient des ennemis potentiels de la patrie suisse. Comble de l'opprobre, la version française, adaptée par un écrivain (par ailleurs of?cier supérieur de l'armée suisse), Maurice Zermatten, aggravait encore le rôle de traîtres de l'intelligentzia et des médias. Le scandale a été tel que cette publication a très vite disparu. Le public avait été invité à en couper la couverture et à la renvoyer à Berne en signe de protestation. Des centaines de milliers de couvertures avaient ainsi été arrachées, et on ne saura jamais combien de ces petits livres ont ?ni à la poubelle ou au vieux papier.
Une des protestations les plus bruyantes avait été celle des écrivains suisses. Max Frisch, Friedrich Durrenmatt, Nicolas Bouvier, Frank Jotterand, Pierre-Louis Junod, Jean-Pierre Monnier, Ludwig Hohl, Jörg Steiner, Paul Nizon, etc., une trentaine d'auteurs connus avaient exigé la démission de Maurice Zermatten, qui présidait la Société suisse des écrivains.
Dans un premier temps, Maurice Zermatten avait refusé de se démettre. Pour manifester leur désapprobation, les protestataires ont alors fait sécession, ils ont quitté la société en bloc et ont donné naissance à ce qui allait devenir le Groupe d'Olten.
J'avais demandé à me joindre à eux et parlé de mon projet. Plusieurs d'entre eux ont promis de m'aider et leur avis m'a en effet été précieux.
Le temps pressait. Je me suis lancée.
Dans La Vermine , l'invention tient une place limitée. Ce petit roman est le fruit d'un travail collectif de documentation qui m'a permis de l'écrire en quelques semaines. Famille, amis et connaissances, écrivains, immigrés de diverses nationalités, ont épluché pour moi la presse suisse, les courriers des lecteurs, et la plupart des pensées de Jacques Bolomet ont été prises dans ce qu'ils ont ramené. Quant aux discours of?ciels, je les ai entièrement pris dans Défense civile, de même que l'intrigue et que pas mal de situations. Avec un coup de pouce ?nal (et décisif) de Kafka, La Vermine est née.

ANNE CUNEO

Née à Paris à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Anne Cuneo passe son enfance en Italie du Nord.
Après la mort de son père en 1945, elle passe plusieurs années dans divers internats et orphelinats religieux en Italie d'abord, puis à Lausanne où elle doit s'adapter à la langue et à l'environnement nouveaux. Après cette difficile période, elle passe une année en Angleterre, à Plymouth et Londres, et découvre la culture anglo-saxonne. Plus tard, elle puisera dans les souvenirs de ce moment décisif de son adolescence pour un roman plein d'humour et de fraîcheur, Station Victoria (1989). De retour à Lausanne, elle est d'abord téléphoniste, puis étudie à l'Université de Lausanne (licence ès lettres), apprend les métiers de la publicité, enseigne la littérature, voyage à travers l'Europe.
Éclectique, Anne Cuneo partage son temps entre la création dans presque tous les domaines de la littérature et le journalisme. Son ouvre est animée par une participation spontanée aux courants modernistes. L'illustration de ses choix esthétiques apparaît dans Gravé au diamant (1967), Passage des Panoramas (1978), Hôtel Vénus (1984). Porte-parole des laissés-pour-compte dans La Vermine , elle introduit le monde des immigrés dans la littérature romande avec les deux volumes de son Portrait de l'auteur en femme ordinaire (1980/1982). Elle évoque le milieu des malades dans Une cuillerée de bleu (1979) après avoir survécu à un grave cancer. Essayiste, elle dessine des portraits des milieux du spectacle dont elle se sent proche: Le Piano du pauvre (1975), La Machine Fantaisie (1976), Le Monde des forains (1985), Benno Besson et Hamlet (1987).
Elle participe à des expériences cinématographiques et théâtrales. De l'écriture, elle passe à la mise en scène et à la réalisation.
Aujourd'hui, Anne Cuneo ne met plus sa vie en livres, estimant qu'elle a raconté tout ce qu'elle a vécu de différent. Cette voix plus profonde, elle la prête à des personnages, qui s'expriment toujours à la première personne, telles les héroïnes de Station Victoria (1989) et de Prague aux doigts de feu (1990), ou le héros du Trajet d'une rivière (1993, Prix des Libraires 1995), Francis Tregian. Anne Cuneo a publié en 1996 une suite indirecte au Trajet d'une rivière , Objets de splendeur , où la figure attachante d'un Shakespeare amoureux nous réintroduit dans l'univers du grand dramaturge.
En 1998, Anne Cuneo publie son premier roman dit «policier» (mais qu'elle qualifie de «roman social»), Âme de bronze - suivi en 1999 par D'or et d'oublis puis en 2000 par Le Sourire de Lisa - où l'on retrouve l'enquêteuse Marie Machiavelli.
Anne Cuneo collabore au Téléjournal à Genève et à Zurich, où elle demeure conjointement aujourd'hui. Ses ouvrages, constamment réédités et traduits en allemand, sont tous de grands succès de librairie en Suisse.

Anne Cuneo, La Vermine, Bernard Campiche Editeur, Coll. Campoche, 2008

 

  Anne-Lise Grobéty / La Corde de mi

Anne-Lise Grobéty -  La Corde de mi

ISBN 978-2-88241-212-6

Réédition du grand succès de 2006-2007.

Racheter l'amour manqué

Avec La Corde de mi , Anne-Lise Grobéty revient au roman: cette histoire de rencontres manquées et de paroles perdues a pour protagonistes un luthier et sa ?lle et pour cadre le haut pays neuchâtelois .

C'est une belle histoire de rencontres manquées et de paroles perdues que raconte ici Anne-Lise Grobéty: entre une mère et son ?ls, entre deux frères séparés contre leur gré, mais surtout entre un père et sa ?lle, le luthier Marc Favrod et Luce, la narratrice trentenaire, qui ne se réconcilie qu'après sa mort avec cet homme au caractère dif?cile. «Bander étroitement/les deux parts de moi-même/serrer dur/le présent le passé» (selon José-Flore Tappy citée en épigraphe), c'est aussi pour Luce s'ouvrir à la possibilité d'un avenir partagé avec Nicola, le peintre italien dont le nom apparaît très tôt, quoique fugacement, dans ce quatrième roman ample et maîtrisé. Après plusieurs volumes de récits et de nouvelles, La Corde de mi marque ainsi le retour de l'écrivain à un genre qu'elle n'avait plus abordé depuis In?niment plus (1989, réédité en camPoche en 2006).


Comme toujours chez la romancière neuchâteloise, la mise en forme du récit compte autant que son contenu, d'où les questions que se pose la jeune narratrice sur la véracité, la composition ou le cadrage. Ces interrogations, de même que le décalage temporel entre le temps vécu et le temps de l'écriture, nourrissent la complexité narrative de ce projet littéraire longuement mûri, si l'on en croit la page liminaire qui annonce les thèmes musicaux traités dans les quatre chapitres, auxquels s'ajoute un court envoi ironiquement baptisé «Trémolo» - car Luce n'est pas pour rien la ?lle de son père, qui se défendait de l'émotion par le cynisme.
Situé dans «un pays de baumes, de dolines, de gouilles et de mouilles glacées» auquel renvoie tout un lexique familier (goger, hucher, houffer, crocher, etc.), le roman se déroule de mai 1945 à ?n 2005, mais sans respecter l'ordre chronologique, bien qu'il fasse allusion aux événements politiques du moment: invasion de la Hongrie, Baie des Cochons, Mur de Berlin, guerre d'Irak.
Orphelin de père, le petit Marc a beau s'enchanter des sonorités étrangères du Grand Atlas où il apprend tout seul à lire: sa mère, qui le couve, ?aire là un danger et s'en défait, pour son bien pense-t-elle, comme elle n'hésitera pas plus tard à se débarrasser du fardeau que représente son ?ls aîné, sourd et autiste, en mentant au cadet sur sa disparition. Le thème de la fraternité court en sourdine dans tout le livre grâce à la ?gure rayonnante des «vieux frères», Jocelyn et Aubin Pelet, qui acceptent de prendre Marc comme apprenti luthier dans leur atelier de la Combe-Verrat. Ce lieu-dit proche d'une tourbière est le cour matriciel du livre, qui s'ouvre et se referme sur lui. La narratrice y est née mais sa mère s'est très vite enfuie avec elle, loin de ce mari incapable de les aimer parce que son art et sa quête de l'instrument parfait passaient avant tout.
«Comment pousser haut et fort sans l'effort des racines?» La question vaut pour le père autant que pour la ?lle, à lire cette dernière qui s'appuie sur le journal du vieil Aubin. Adolescente et jusqu'à ses 18 ans, Luce s'est beaucoup interrogée sur sa dif?cile relation avec ce père dont elle entend se faire aimer, comme lui-même avait jadis tenté d'apprivoiser son frère Rémi. Après leur rupture, devenue historienne de l'art, elle n'a cessé d'investiguer sur «ce qui commence aux con?ns du tableau» pour éclairer de biais le travail du peintre. La métaphore du vide parcourt d'ailleurs tout le récit: creux du violon, interstices du récit, trous du paysage, failles de l'être. Mais, transmise d'outre-tombe comme un talisman, une corde de mi (celle sous laquelle est placée l'âme du violon) suf?ra à racheter l'amour manqué.

ISABELLE MARTIN , Le Temps

Née en 1949 à La Chaux-de-Fonds, Anne-Lise Grobéty étudie à la Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel et effectue un stage de journalisme. Elle commence à écrire très tôt, et elle a dix-neuf ans lorsque paraît son premier roman. Après un deuxième roman, elle ralentit son activité littéraire pour s'occuper de ses enfants. Dans le même temps, elle s'engage politiquement et siège pendant neuf ans comme députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois. Son mandat achevé et ses filles devenant plus autonomes, Anne-Lise Grobéty renoue avec l'écriture en 1984.
Anne-Lise Grobéty se fait connaître du grand public dès son premier roman, Pour mourir en février , couronné par le Prix Georges-Nicole. La suite de son ouvre remporte le même succès: le Prix Rambert et deux Prix Schiller lui ont notamment été décernés. Parmi ses publications les plus importantes, les romans Zéro positif et Infiniment plus , tous deux traduits en allemand, et les recueils de nouvelles La Fiancée d'hive r et Belle dame qui mord . Elle a reçu le Grand Prix C. F. Ramuz en 2000 pour l'ensemble de son ouvre, et le Prix Saint-Exupéry-Valeurs Jeunesse de la francophonie 2001 ainsi que le Prix Sorcières 2002 pour Le Temps des mots à voix basse .
Ses narratrices cherchent à affirmer leur identité féminine, à une époque où la présence des femmes en littérature commence à s'affirmer. Anne-Lise Grobéty est donc aussi fortement concernée par la condition de la femme écrivain, par les aspects historiques, formels et politiques de l'écriture féminine, mais elle poursuit surtout une exploration de la langue dans une tonalité bien à elle.
En 2006, paraît un important roman, La Corde de mi , qui a été couronné par le Prix Bibliomedia Suisse 2007 et par le Prix «Coup de cour» de Lettres frontière 2007.

Anne-Lise Grobéty, La Corde de mi, Bernard Campiche Editeur, Coll. Campoche, 2008

 

  Jean-François Sonnay / Le Tigre en papier I

Jean-François Sonnay / Le Tigre en papier I

ISBN 978-2-88241-219-5

Jean-François Sonnay a su construire des personnages avec ?nesse, chacun baignant dans un entourage précis, où les ?gures des parents, des amis, s'ajoutent à la description des caractères ; où les pensées du narrateur sur l'Helvétie, sur Lausanne, ne sont pas seulement fruit de l'humeur d'un écrivain, mais démonstration d'un esprit général régissant les mentalités. Impressionnante aussi la manière dont toutes ces vies nous sont racontées ; mener de front l'histoire d'une dizaine d'individus révèle l'habileté de l'auteur.
FRANÇOIS WASSERFALLEN , Repères

***

Au premier regard, Le Tigre en papier I de Jean-François Sonnay pourrait sembler un peu anachronique, et par son projet et par sa mise en ouvre. D'aucuns ricaneront d'ailleurs, qui réduisent tout à la «modernité». Car en?n quoi: ce jeune plouc raconte une histoire, il brosse une grande toile romanesque avec un soin qui ?eure son XIXe siècle. Il y a là-dedans des personnages auxquels on s'attache comme à ceux de Martin du Gard ou de Jules Romains.


Et cette façon de mener sa barque comme Dieu le Père : et cette écriture si sage, aux antipodes du jazz verbal et de tout baroquisme: et ce regard si net et si droit, qui contraste tant avec les yeux troubles ou larmoyants de la «conscience malheureuse» propre à notre époque.
JEAN-LOUIS KUFFER , Le Matin

Né en Suisse en 1954, Jean-François Sonnay vit actuellement à Paris. Il a étudié les lettres aux universités de Lausanne et de Rome.
Depuis la parution de son premier livre en 1974, il a partagé son temps entre la littérature, la recherche en histoire de l'art, l'enseignement, ainsi que des missions en qualité de délégué du Comité international de la Croix-Rouge (Koweit, Afghanistan, Colombie, ex-Yougoslavie, Soudan, Côte d'Ivoire, etc.).
En dehors de quelques articles en histoire de l'art, Jean-François Sonnay a écrit des pièces de théâtre, des romans, de petits essais, des contes et des nouvelles.
En 1998, il a reçu le Prix Schiller et le Prix Rambert pour La Seconde Mort de Juan de Jesús . Son roman Un prince perdu a obtenu le Prix Bibliothèque pour Tous 2000 et son dernier ouvrage paru Yvan, le bazooka, les dingues et moi a obtenu le Prix des Alpes et du Jura (2007) de l'Association des écrivains de langue française.
Lauréat d'une bourse de la Fondation Leenaards en 2000, il a également reçu le Prix des écrivains vaudois pour l'ensemble de son ouvre.
Dans ses romans comme dans ses recueils de nouvelles ( Vrai ou Faux , 2003) et de contes ( Les Contes du tapis Béchir , 2001 et Contes de la petite Rose , 2004), Jean-François Sonnay manifeste un réel talent de conteur.

Jean-François Sonnay, Le Tigre en papier I, Bernard Campiche Editeur, Coll. Campoche, 2008

 

  Jean-François Sonnay / Le Tigre en papier II

Jean-François Sonnay / Le Tigre en papier II

ISBN 978-2-88241-220-1

 

. C'est la force de ce livre, de croire que les mots peuvent dire la réalité, servir sa compréhension en reflétant ce qu'elle peut être. Si aujourd'hui des lecteurs se plaindront de la longueur de cette fresque romanesque, gageons que dans quelques décennies, ceux qui s'intéresseront à ce que fut la vie de notre pays rouvriront Le Tigre en papier ..
FRANÇOIS WASSERFALLEN , Gazette de Lausanne

***

.Avec une bienveillance volontiers teintée d'ironie et une capacité d'observation impressionnante, l'auteur du Tigre en papier excelle en outre dans le dialogue. Mais le plus important tient au sérieux avec lequel Jean-François Sonnay démêle la vérité profonde des êtres et les simulacres de leur idéologie ou de leurs actes. Fraternel et tonique, il nous propose une réflexion « en situation » où la lucidité va de pair avec l'esprit d'ouverture, et l'exigence éthique du moraliste avec l'imagination créatrice du romancier en pleine pâte.
JEAN-LOUIS KUFFER , 24 Heures

Jean-François Sonnay, Le Tigre en papier II, , Bernard Campiche Editeur, Coll. Campoche, 2008

 

  Anne-Lou Steininger / Les Contes des jours volés

Anne-Lou Steininger / Les Contes des jours volés

ISBN 978-2-88241-215-7

Trente-cinq contes cruels
Longuement attendu, le deuxième livre d'Anne-Lou Steininger con?rme sa maîtrise dans tous les registres de l'écriture : à déguster à petites doses quotidiennes.

Anne-Lou Steininger, Valaisanne vivant à Genève, a fait en 1996 une entrée remarquée en littérature en publiant un premier livre hors norme chez Gallimard: poème polyphonique et fable politique, La Maladie d'être mouche révélait un beau tempérament d'écrivain, con?rmé deux ans plus tard par le premier Prix FEMS attribué à la littérature, une bourse de 100 000 francs destinée à la réalisation du recueil des 35 Contes des jours volés qui paraît aujourd'hui. Le fantastique y ?irte avec le merveilleux sur le modèle des Mille et Une Nuits , puisque le narrateur des «Jours qu'il me reste à vivre» retarde l'échéance de sa mort en séduisant par une nouvelle histoire l'ange-percepteur qui vient chaque matin le plumer d'un jour.
Ce récit d'ouverture est à lire comme une déclaration d'intention: il fait l'éloge de la lenteur et proclame la volonté de «donner chair au temps. Pour le goûter, pour l'éprouver, pour le sentir passer.» Rien d'étonnant donc que la conteuse ait longuement poli ses textes pour livrer ce deuxième livre très abouti et d'une composition ré?échie qui ne doit rien au hasard.

De fait, ces récits composent une suite de variations sur le temps, thème majeur associé à tout un système d'échos thématiques et de répons ainsi qu'à un réseau d'images autour de la musique et de l'eau sous toutes ses formes.
Parmi les variations les plus virtuoses, on signalera celles de «Manège» où Anne-Lou Steininger résume tous les âges de la vie des femmes à travers une ronde et ses ritournelles; de «Capitaine des nausées» où elle imagine, dans un vertigineux compte à rebours, que l'existence d'un homme qui s'est efforcé d'échapper à sa mère se rembobine jusqu'à sa première dent de lait; de «L'Irréparable» en?n, où elle ralentit la vitesse d'un coup de poignard mortel jusqu'à permettre l'incarnation de l'injure lancée par l'agressé à son assassin. La narratrice a le souci de l'alternance et du rythme, elle varie ses attaques et la longueur de ses textes (de neuf lignes à douze pages) aussi bien que leur ton et leur tempo, grave ou burlesque, et elle soigne aussi ses chutes. Même si elle poursuit obstinément sa ré?exion sur la mort, elle ne s'abstient pas de clins d'oil philosophiques à l'endroit d'Héraclite (à qui elle attribue un clone par jour de baignade) ou de Zénon (dont le sourire ne peut être qu'un astre éteint).
Surtout, la conteuse n'oublie pas le plaisir des mots, leur pouvoir de séduction et leur humour décapant. Comme les enfants ou les poètes, elle les invente au besoin : ainsi les drolatiques invectives machistes de «Mulier qui galipet», la «verbaille splendoriphore» des discoureurs à cloque-langue de « Rondisalabalanque mirapolisalice », la chevauchée du «grand Mélancocasse» qui «rêvedouille» et «gloussigole» dans «Cavalcade». Ailleurs, elle parle joliment d'« abricots pas mûrs serrant leur petit poing de boxeur », et elle invente des personnages fabuleux : démêleuses de sang et leveuses de chair douce, adorateur de l'odeur du café, voyante «?aireuse de Destins tragiques» ou régleur des fumées à qui il convient de sourire ou d'annoncer une bonne nouvelle, même fausse, pour qu'il puisse continuer à remplir son of?ce.
Malgré toute sa fantaisie et son ironie, la vision du monde d'Anne-Lou Steininger apparaît plutôt sombre, marquée au coin de l'aphorisme selon lequel «Au commencement est la douleur». Et à la ?n un paradis moderne, « avec ?tness, vitrines et pince-fesses », qui ne se distingue de la vie terrestre que par la couture de l'habit, aux points délicatement piqués dans la chair. Ces fables cruelles sont à déguster comme elles ont été écrites, par petites doses de poison insidieux délicatement pesées.

ISABELLE MARTIN , Le Temps

Anne-Lou Steininger est née en Valais et vit actuellement à Genève. Elle est l'auteur de La maladie d'être mouche , Gallimard, 1996, qui a été adapté et joué au théâtre. En 1998, elle a reçu le prix de la Fondation Édouard et Maurice Sandoz pour son recueil de récits, Les contes des jours volés . Elle est également l'auteur du Destin des viandes , qui a reçu en 2001 le prix de la Société genevoise des écrivains.

Anne-Lou Steininger, Les Contes des jours volés, Bernard Campiche Editeur, Coll. Campoche, 2008

 

Page créée le 02.05.08
Dernière mise à jour le 02.05.08

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