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Petites chroniques d'été

 

Présentation de l'auteur
Chronique des géraniums en fleurs (1)
Chronique des géraniums en fleurs (2)
Dernière chronique des géraniums
Petite chronique d'un soir d'été sur un balcon au printemps
Petite chronique d'avant l'été
Petite chronique d'été (1)
Petite chronique d'été (2)
Petite chronique d'été (3)
Petite chronique de l'été 2000
Petite chronique de l'été qui revient, de l'écriture, des montagnes et des anges
Dissolution


Petite chronique d’avant l’été

Dans quelques jours, ce sera l’été. On n’a pas vu passer le printemps. On l’a vu naître et puis soudain se transformer. Très vite, l’été. Très vite. Seule une chose n’a pas encore eu lieu : la floraison des géraniums. Chaque année, c’est la même chose. Les géraniums remontés de la cave au printemps ne fleurissent pas avant l’été. Aujourd’hui seulement surgissent les premiers boutons. Timides.

Chaleur. C’est agréable la chaleur. Douce moiteur. Trente degrés, peut-on lire sur les grands thermomètres qui indiquent au détour des rues en grands chiffres rouges l’heure, la date et la température, et parfois plus encore. Certains prédisent le temps et commentent les malheurs du monde. Ces véritables journaux lumineux clignotent dans la nuit et passent des réclames pour des poudres à lessive. D’autres citent des auteurs célèbres et récitent des poèmes d’amour. Ils sont très rares. Ils ne s’allument qu’au clair de lune. Des supermarchés les financent.

Mais le soir : la fraîcheur et le vent. On ne reste pas sur le balcon, il faudrait une petite laine. On ne guettera pas les pas de la jeune femme inconnue qui passe sur le chemin tous les soirs entre vingt-deux heures et vingt-deux heures trente. Le vendredi, en plus, elle a très souvent du retard ou même peut-être ne rentre pas.

Personne ne connaît sa vie. On sait seulement qu’elle est jolie, mais peut-être la voit-on de trop loin ou est-on aveuglé déjà par l’amour — mais pourquoi ? puisqu’on ne la connaît pas, qu’on n’a même jamais entendu une seule fois le son de sa voix (c’est très important, la voix), qu’on ne sait pas à quoi elle s’intéresse dans la vie, si elle préfère le football à la littérature et si elle met du sucre dans son thé, si elle dort la fenêtre et les volets grand ouverts et les rideaux pas tirés, si elle a besoin d’air, de lumière la nuit car elle étoufferait autrement. On préférerait qu’elle aime la littérature, ne mette pas de sucre dans son thé, dorme la nuit les rideaux grand ouverts et ne s’intéresse au football que par les livres de Georges Haldas (" La Légende du Football ", par exemple, paru aux Éditions L’Age d’Homme en 1981), et si elle s’intéressait au tennis, ce serait mieux, bien sûr, surtout à Martina Hingis et au livre que lui a consacré Etienne Barilier (" Martina Hingis ou la beauté du jeu ", Zoé, 1997), et si elle s’intéressait au patinage ce serait bien aussi, c’est de l’art, le patinage, c’est de la danse, du ballet, c’est dommage que ce soit du sport, presque oserait-on dire. Mais on ne sait rien d’elle, vraiment rien. On sait qu’elle passe sous ce balcon, sur le chemin, souvent le soir à cette heure-là, on ne sait pas d’où elle revient, on sait qu’elle habite là-bas, dans l’immeuble tout au fond. On ne connaît pas son prénom.

Mais on l’entend qui passe. Elle arrive accompagnée d’un chien. Elle est allée promener son chien, un chien jaune, plutôt sympa, bon bougre. Un chien.

On ne savait pas qu’elle avait un chien.

Elle lui parle d’une voix très douce. Elle lui dit : " Il est dix heures et demie du soir. Bientôt l’été. "

Il faudra qu’on s’intéresse aux chiens.

© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Ve 16/06/2000

 

Page créée le 01.08.01
Dernière mise à jour le 01.08.01

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