Petite chronique dété
(3)
Cétait un drôle
dété, cet été, cétait
un été normal. Il avait beaucoup plu.
Et il avait fait chaud. Et il pleuvait à nouveau
encore.
On sennuyait doucement.
On mettait un peu de musique. Une chanson qui parlait
damour tombait avec la pluie. On regardait par
la fenêtre du côté de la maison
dà côté dont les volets
venaient de se rouvrir après de longues semaines
vides et inoccupées. On guettait une silhouette
qui tout le temps tardait. On sessayait à
la lecture. On jouait à des jeux, Jacques a
dit ou na pas dit, ni oui ni non bien au contraire.
Il fallait ne pas dire cela, ou tout autrement dire
cela comme dans ces productions radiodiffutélévisées
où le candidat (à moins que ce ne soit
le journaliste à la suite dun pari stupide)
doit placer les mots confiture de groseille, aspirateur,
xanthophylle, boson, gluon, lepton et tondeuse à
gazon mêlés aux graves nouvelles du jour
(élémentaire, mon cher docteur, rien
de neuf dans tout ça
). Ou il fallait
faire telle chose quand il fallait faire cela et ne
pas faire quand il ne fallait pas, et puis lon
oubliait quil ne fallait pas faire, on perdait.
Mais peut-être quon gagnait, qui sait.
Lacan aurait dit quelque part quelque chose qui ressemble
à ceci : " Tout acte manqué est
un discours réussi. " Ou peut-être
: " Un acte manqué est un discours qui
a réussi. " On réussissait pas
mal de discours finalement, on se révélait
meilleur orateur que le maire de Champignac lui-même,
des députés avaient été
élus pour moins pire, on avait encore toutes
ses chances. Cest quand même beau lété
lorsque lon perd et gagne ainsi. Surtout sil
pleut.
Mais à peine un rayon
de soleil paraissait, on sortait. Il fallait "
profiter " du soleil. On ne pouvait pas jouir
de lété, mais on devait "
profiter " du beau temps, ça devait rapporter
davantage.
Ça rappelait nos enfances
quand nous devions sortir et quensuite nous
courions loin devant, direction les dunes ou les vagues.
On renonçait à nous suivre, on nous
donnait rendez-vous pour plus tard. Nous revenions
plus tard encore.
On nous grondait, nous qui
nous étions égarés et navions
plus pensé à lheure, et qui nous
étions arrêtés pour chanter toutes
les bêtises que la radio diffuse à longueur
de jour et de jour au lieu des belles chansons de
route comme " Un kilomètre ça use
", " Un éléphant ça
trompe
". Et la radio hurlait : "
Capri, cest fini " de Hervé Villard,
comme en 1965 (un autre été pourri),
comme dans lété quatre-vingts
(un autre été pourri, encore, et là
on doit citer Marguerite Duras : " Sur toute
létendue des sables tout à coup,
ça hurle que Capri cest fini. Que CÉTAIT
LA VILLE DE NOTRE PREMIER AMOUR mais que maintenant
cest fini. FINI. " (In " Yann Andréa
Steiner ", P.O.L., 1992, p. 67.) Comme elle aimait
cette chanson-là, M.D. Elle avait raison. Elle
savait ce que la poésie peut être, elle
na jamais rien écrit dautre. Rien
dautre que ça : la poésie. La
poésie, cest tout ça. Aussi.
Et lété
avançait sans quon sen rende compte.
On avait fait la connaissance de la jolie voisine
qui habitait la maison dà côté.
On lavait rencontrée par hasard, au clair
de lune, une nuit quon sexerçait
au surf. " Moonlight-Surf ", quelle
disait ; le surf au clair de lune, même en anglais
cest beau. En hiver, elle habitait Londres.
On sétait dit
: dautres étés patientent derrière
les collines de sable : lété indien,
lété de la Saint-Martin. Il suffit
dattendre lautomne. Octobre peut être
si beau. Même novembre est parfois si beau.
On se verra là. On ira là. Là-bas.
Où elle voudra. Quand elle voudra. A Venise,
jusquà Capri. On saimera. Toutes
les chansons quon aimait répétaient
toutes cela, on ne peut plus dire lesquelles, ni même
qui les chantait, mais elles répétaient
toutes cela. Capri ne finira pas. Capri ne peut pas
finir. On reviendra. Ici. On espérait.
Arriva léquinoxe
dautomne et puis le doux, le très doux
souvenir dune douce histoire damour. Et
depuis, les volets de la maison dà côté
sont fermés.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Di 13/08/2000